Depuis hier, LA grosse actualité, c’est la couverture de Vanity Fair qui dévoile les photos glamour de Caitlyn Jenner, immortalisée par la photographe des stars Annie Leibovitz. Impossible de passer à côté. Les réactions et les témoignages de soutien pleuvent de toute part, jusqu’à Barack Obama qui tweete « It takes courage to share your story ».
De toute part ? Peut-être pas. Comme le souligne la bloggueuse lolesque Charlotte de Bruges sur son Tumblr « Lol avec les homophobes », c’est un peu « la Journée Mondiale de la Transphobie » partout sur Internet. Il suffit de voir l’article du Figaro Madame qu’elle pointe d’ailleurs du doigt : il y est question du « beau-père de Kim [Kardashian] », de Bruce Jenner « en femme ». Même chose si on jette un œil au hashtag #CaitlynJenner sur Twitter pour constater que les utilisateurs Français se déchaînent.
En ce mois des LGBT Pride un peu partout en France, on ne peut qu’être atterrés de ce tel déferlement transphobe. Naïvement pour ma part, je pensais que les personnalités comme Laverne Cox, qui incarne la magnifique Sophia d’Orange is the New Black, contribuaient à faire bouger les lignes et évoluer les mentalités. Force est de constater que la France est à la traîne. Laverne Cox avait elle-même fait la couverture du Time magazine il y a un an et utilise sa notoriété pour promouvoir la visibilité des personnes transgenres. Si les choses évoluent, elles ne le font que terriblement lentement sur le Vieux Continent, où l’on entend encore et toujours les mêmes discussions sur le pronom personnel à utiliser face à une personne trans, que ce soit au sujet d’une Conchita Wurst ou d’une Caitlyn Jenner.
Pourtant, il y a quelques jours, au réveil, j’ai entendu la voix de Ferlaa Estrada. J’étais en train de me brosser les dents, prête à partir ou presque. Et j’ai découvert cette histoire. Dans l’interview que nous livre France Inter, Ferlaa raconte qu’elle s’appelle encore Fernando Abelardo Pérez Estrada au moment où est enregistré le reportage. Fernando va officiellement s’appeler Ferlaa, ce n’est plus qu’une formalité.
C’est passé bien plus inaperçu qu’une couverture de Vanity Fair ou du Time magazine, on n’a presque rien vu, rien lu, rien entendu. Pendant que l’on nous parlait de l’Irlande et du mariage pour les couples de même sexe, une petite révolution se passait au Mexique. Plus précisément à Mexico. Évidemment, à Mexico, le mariage homosexuel est légal depuis le 22 décembre 2009. La loi avait été adoptée et là encore, personne n’avait été surpris, pas de levée de bouclier, pas de drapeaux rose et bleu flottant sur des foules haineuses. Pas de déclaration selon laquelle ce serait une « défaite des principes chrétiens [et] une défaite pour l’humanité », comme l’a dit le Cardinal Parolin au sujet du référendum en Irlande.
Le 6 mars, le New York Times publiait un très bel article adapté d’un témoignage podcasté sur Radio Ambulante, on peut y lire cette joli formule : « Gender is a spectrum. Nonbinary. » Nonbinaire. La particularité de la loi adoptée à Mexico, c’est qu’une personne peut demander à changer la mention de l’identité de genre sur ses papiers autant de fois qu’elle le souhaite. Le genre devient bien un continuum fluide, réversible. Et il n’est pas nécessaire d’avoir subi une quelconque chirurgie pour procéder à ce changement.
On est loin de l’intransigeance de la plupart des législations européennes (à l’exception de Malte) où le changement de l’identité de genre à l’état civil se fait après un long parcours médical et psychiatrique et une chirurgie de réassignation sexuelle.Comme le fait remarquer l’article du New York Times, le terme « nonbinaire » n’existe même pas dans la plupart des langues. Il n’existe pas plus de pronom neutre en espagnol qu’en français. Le genre n’est pas qu’identité sexuelle, en l’occurrence, il est aussi grammatical. Et si en France, c’est le masculin qui l’emporte, nous devrions cesser ne dire, comme j’ai pu le voir sur Twitter, que Caitlyn Jenner « s’assume comme il est et est heureux ». Car Caitlyn est une femme et Caitlyn est heureuse. Un point c’est tout.