Sur l’initiative de ma chère maman qui ne perd jamais une occasion de sauver le monde, je me suis retrouvée propulsée durant deux jours en plein milieu de l’Exposition Universelle 2015. Je n’ai pas été voir le pavillon de la Lesbianie… Tout simplement parce qu’il n’existe pas. Et c’est bien dommage, parce qu’au regard de tout ce qui est proposé au sein de ce vaste fast-food pseudo-universel, les lesbiennes feraient effet d’un vent d’air frais comme solution écocitoyenne pour sauvegarder la planète.
Organisée à Milan, l’exposition se donne pour généreux thème : « Nourrir la planète », et la promesse derrière tout ça était de découvrir les solutions qui feraient que, demain, nous ne serions plus seulement 20% à utiliser 80% des ressources mondiales.
Sans vouloir vous gâcher la fin : ce n’est pas arrivé. À la place, j’ai passé deux jours à arpenter ce qui ressemble à une hybridation diabolique entre un Office du Tourisme, un Flunch et un projet d’architecture d’un étudiant en arts qui aurait pris plus de drogues qu’à l’ordinaire. Le tout à la gloire de la famille traditionnelle hétérosexuelle, de la bonne nourriture et du capitalisme. Méchante ambiance.
« Universel » : tout le monde, sauf les autres
Pour bien comprendre ce qu’est l’Expo de Milan, une rapide présentation s’impose. La partie « Exposition » signifie que chaque pays qui y participe bénéficie d’un pavillon pour (présenter) vendre (sa culture) sa nourriture et proposer (des solutions pour l’avenir) des menus où l’achat du moindre panini nécessite la vente d’un de ses reins.
La partie « Universelle » signifie que :
1. 53 pays riches bénéficient d’un pavillon particulier, gigantesque et plus ou moins beau, tandis que les pays moins riches sont relégués dans des préfabriqués moches regroupés par thèmes culinaires ou climatiques. Sans surprise, on ne trouve pas de pays européens dans les préfabriqués, exception faite de la Grèce, pays de la feta et de la dette insolvable.
2. On a pensé à tout le monde, ou du moins à LaFâme qui bénéficie d’un petit espace de 100 m² baptisé Women for Expo et situé au centre de l’exposition. Je n’en parlerai pas pour la simple raison que je ne suis parvenue à atteindre ce fameux centre que le deuxième jour à 22h, soit l’heure de la fermeture. Je me contenterai de me demander si cela signifie qu’aucune femme n’a rien fait pour le 1,6999 million de m² restants.
Sur les 43 pavillons que j’ai visités, seule la Thaïlande aborde l’homosexualité. Plus exactement, elle la suggère, sous la forme de deux hommes qui se dévorent des yeux (ça reste dans le thème de la nourriture) en se tenant la main. Nuance, quand tu nous tiens…
Quant aux lesbiennes, nulle trace. Pas la moindre mention dans le programme de Women for Expo : soit les organisateurs sont d’ardents fans de Monique Wittig (1), soit on a un sérieux problème de représentation. Je n’ai pas non plus eu la chance d’en croiser ailleurs. Des t-shirts Poutine à 100€ oui, des cappuccinos à la carotte aussi, des troupes de danse folklorique en-veux-tu-en-voilà, mais des lesbiennes : jamais. Je pense donc à revenir avec mon déguisement de femme-sandwich (de circonstance) pour promouvoir la Lesbianie, un chouette pays et une véritable aubaine pour sauver la planète grâce à une formule tout compris entrée-plat-dessert :
Entrée : Tartare d’ovaires sur réduction miraculeuse de reproduction
Grâce à son système intégré de contrôle des naissances, chaque citoyenne de Lesbianie bénéficie d’une marge d’erreur considérablement réduite quant aux grossesses non désirées.
Un programme de remplacement de tous les hommes de cette planète porteurs de gonades mâles (2) opérantes par d’autres lesbiennes pourrait même être envisagé, diminuant ainsi drastiquement le taux de guerres et de violences domestiques tout en sauvant joyeusement la planète d’un dernier baby-boom qui lui serait fatal.
La chute des ventes de pilules contraceptives s’avèrera efficace pour lutter contre le cancer du sein, des reins et du col de l’utérus, favorisés par la surexposition du corps aux hormones de synthèse. Enfin, et grâce à l’exploitation habile de la tendance aux travaux manuels des lesbiennes de Lesbianie, quelques ateliers suffiront à implanter dans leur cerveau les graines de la prévention DIY et de la gynécologie open-source (3). Magique, la vie en Lesbianie? Mieux, cyborg !
Plat principal : Grillades végétariennes équitables et leur purée de clichés maison
Maintenant que la Planète Terre est sauvée d’un débordement de population, reste à nourrir celle-ux qui restent. Ma grand-mère me disait que c’est dans les vieilles marmites qu’on fait les meilleures soupes : ça tombe bien, question casseroles, les lesbiennes s’en trimballent un paquet. À commencer par cette vision de la lesbienne Hyppie (à la fois hype et un peu hippie) grignotant un sandwich au tofu, son thermos de jus de betteraves bio maison à la main et des chaussures en cuir vegan aux pieds.
Mais plus que la synthèse si peu exagérée d’une sous-catégorie dans laquelle une bonne part de mes connaissances, moi compris, barbotons plus ou moins profondément, la lesbienne Hyppie est à la Lesbianie ce que le brunch est aux parisien-nes : une condition d’existence.
La Lesbianie est en effet le premier pays au monde à avoir instauré un végétarisme d’état. La mesure a fait râler les premiers temps, mais a vite été adoptée quand il est apparu que cela permettait de nourrir six fois plus de monde pour moins cher, donc d’avoir plus de copines à l’apéro tout en gardant de l’argent pour les bières.
Dessert : Pain surprise de Lesbianie et confiture amère à l’identité nationale (servie à part)
La plus grosse part de tristesse dans cette Expo, c’était sans doute de voir 53 nations jouer à « qui a la plus grosse » pour vendre des promesses de bouffe et de joie prétendument contenues entre leurs murs. Alors même que chacun savait que si t’étais du genre pauvre, ton panini-du-bonheur tu pouvais l’oublier et qu’il te faudrait te contenter de regarder un touriste en sandalettes mieux nanti le manger à ta place. Et que ce serait exactement pareil pour tout visa, travail, permis de séjour ou droit élémentaire que tu aurais l’audace de réclamer. Le mouvement No Expo Pride organisé à Milan dénonce ce double discours qui exalte les identités jugées « acceptables » telles que l’Entrepreneur, le Gay festif et consommateur (accueilli avec joie mais presque jamais représenté) ou encore la Femme-Mère, tout en exploitant des forces de travail précaires et en expulsant les habituels « indésirables », des travailleur.ses du sexe aux migrant.es, qui viendraient ternir la fière image de l’Italie.
Or, la particularité la plus intéressante de la Lesbianie, c’est finalement que ce pays ne connaît pas de frontières. Au contraire, il est partout et nulle part, s’immisce allègrement sur tous les autres territoires officiels sans même s’arrêter à la douane. Bien sur, il y a des régions, des particularités locales et toujours la possibilité peu réjouissante de se retrouver seule dans un coin perdu à un moment ou un autre. Mais à part celle de savoir si « t’en es », on ne te posera pas trop de questions au moment d’y rentrer, que tu viennes pour des vacances ou pour un séjour prolongé. Mieux, personne ne te demandera rien, parce qu’au final, c’est toi qui décides de ce que tu mets dans ton identité gouinationale.
À défaut de nourrir la planète, l’Expo Universelle 2015 pourrait donc au moins avoir le mérite de servir d’engrais à quelques utopies : en haut des tas de fumier, il peut pousser des fleurs.
De toute façon, les agentes spéciales de la Lesbianie sont déjà infiltrées partout.
(Et si quelqu’un cherche la Révolution, un indice : she’s not in the kitchen.)
(1) En 1978, la phrase de la romancière et théoricienne féministe française Monique Wittig « les lesbiennes ne sont pas des femmes » a scandalisé les féministes, même les plus radicales.
(2) Gonades mâles = testicules ; gonades femelles = ovaires
(3) http://www.makery.info/2015/06/30/gynepunk-les-sorcieres-cyborg-de-la-gynecologie-diy/