Les témoignages sur les pages Facebook et autres Tumblr (voir notamment l’article d’Emmanuelle sur Lesbeton) se multiplient pour dénoncer le harcèlement de rue que subissent quotidiennement les femmes, avec une double peine lorsque les propos se teintent de lesbophobie. Car ce phénomène, loin d’être récent, ne doit pas être minimisé. Un « Hey, mademoiselle ! » peut être vite substitué à un « Hey salope, je te parle ! » et un regard intimidant se transforme vite en agression sexuelle.
Jusqu’à 100% des femmes harcelées
Fin août, au milieu des selfies-on-the-beach, apparaît sur mon fil Facebook le témoignage d’Amira Gush, agressée en plein milieu de la gare bondée de Lyon Part-Dieu. L’histoire classique d’une femme qui tombe sur un homme éméché, qui se fait insulter par des très charmants « Tu pues de la chatte sale rousse, grosse pute ! (…) Viens là salope, viens là avec ton cul de pute ! », qui culpabilise immédiatement (elle se demande si elle n’est pas habillée de façon trop sexy), qui est terrorisée en essayant de semer l’homme et en devant se cacher, et qui tombe sur une foule autour d’elle qui ne réagit pas. Voire pire : qui rit. Oui, dans son édifiant témoignage, elle raconte qu’en cherchant un quelconque soutien, son regard a croisé ceux de deux jeunes hommes qui se sont eux contentés de rire grassement. Parce qu’effectivement, y-a-t-il quelque chose de plus drôle que de voir une femme terrorisée se faire insulter et poursuivre dans une gare bondée ?
Ce témoignage est malheureusement devenu « classique » car les chiffres parlent d’eux-mêmes. Suite à une enquête internationale (menée par l’association Hollaback ! et l’université de Cornell dans 42 villes sur plus de 16000 femmes), 76 % des femmes françaises interrogées ont indiqué avoir déjà été suivies dans la rue par un ou plusieurs homme(s) et 82% ont été victimes de harcèlement de rue avant leurs 17 ans. Une autre étude (menée cette année auprès de 600 femmes de Seine-Saint-Denis et d’Essonne) est encore plus frappante : 100% des femmes qui utilisent les transports en commun ont subi au moins une fois dans leur vie du harcèlement sexiste ou une agression sexuelle.
L’âge ou l’apparence physique des victimes entrent peu en compte. En revanche, le harcèlement peut très vite revêtir un caractère raciste, lesbophobe ou transphobe. On pourrait aussi s’interroger sur l’enjeu du classisme puisqu’il est évident que certaines femmes aisées n’auront jamais à supporter le bus de nuit à 4 heures du matin à Châtelet au milieu de mâles avinés et urinant dans un coin. Mais l’un n’empêche pas l’autre. N’êtes-vous d’ailleurs jamais tombée sur un chauffeur de taxi aux propos paternalistes et déplacés ? Je vous passe l’histoire de mon ex et du chauffeur qui avait sorti son pénis et commencé à se masturber pendant le trajet… #NoComment
Le problème de l’occupation de l’espace public par les femmes
Comme un mauvais cercle vicieux, il ne faut pas oublier que les injonctions sociétales nous font assimiler que la rue est dangereuse pour les femmes et qu’il ne faut pas sortir tard le soir. Dès notre plus jeune âge, nous entendons cela, on nous conditionne à « faire attention », à fuir si un homme nous accoste dans la rue. Les inquiétudes des mères de famille (bonjour maman !) en rajoutent une couche paranoïaque mais les faits sont là : les comportements entre femmes et hommes sont structurés par le milieu urbain, la rue est vue comme un espace sexué où la liberté de mouvement n’est pas la même pour tout le monde. D’ailleurs, les femmes usent de « stratégies » quand elles marchent dans la ville, la nuit tombée (le hashtag #SafeDansLaRue avait répertorié ces stratégies sur les réseaux sociaux), qu’il s’agisse de changer de trottoir, de prétexter un appel téléphonique ou encore de marcher sans cesse avec ses écouteurs dans les oreilles. Une New Yorkaise a même récemment fait l’expérience de se vêtir d’un… sac poubelle pour ne pas être harcelée !
Mais la véritable question est : n’est-ce pas prendre le problème à l’envers que de devoir user de stratégies ? Car une fois de plus, une certaine culpabilité pèse sur les victimes, il faudrait donc s’excuser et faire attention à ce que l’on porte, veiller à changer d’itinéraire, à avoir une bombe lacrymogène dans son sac, à marcher la boule au ventre quand on croise un groupe d’hommes et qu’on se sent brusquement seule. Il faudrait banaliser le harcèlement et dédouaner le harceleur, et subir, la tête basse, comme si c’était le seul choix qui s’offrait à nous.
Les clés pour bien réagir face au harcèlement
Il ne faut pas se voiler la face. Malgré notre côté « Batwoman » qui sommeille en nous et qui rêve de fermer/casser la gueule aux harceleurs, la plupart du temps, la peur, la colère ou la surprise peuvent nous tétaniser, nous faire courir au lieu de riposter, nous faire hésiter au lieu d’agir.
En parler est le premier pas. Car communiquer sur le sujet est une réelle étape nécessaire. Mais ressasser le sujet avec ses copines après une énième bière ou écrire un article sur le sujet au fond de son lit (toute ressemblance avec des personnages existants ne serait que pure coïncidence) n’est pas suffisant. La prochaine étape est toute autre : il faut agir. Concrètement. En investissant la rue, en agissant quand une femme se fait harceler devant nous, en sensibilisant et éduquant sur ces sujets-là.
De nombreux collectifs et institutions ont sauté le pas :
– les sites qui recensent des édifiants témoignages de harcèlement dans les lieux publics et donnent des clés pour bien réagir, comme Paye ta schnek ou Lesbeton
– le projet crocodiles, dont le personnage du « crocodile harceleur » a inspiré la parodie de la campagne de pub de la RATP
– Le collectif Stop harcèlement de rue, auteur de la fameuse parodie et qui, via ses actions dans l’espace public, vise le développement de « zone sans relou » (voir aussi le hashtag #LacheMoiLaVille sur Twitter)
– les actions de Genre et ville
– et même le gouvernement a annoncé la mise en place de 12 mesures de lutte contre le harcèlement sexiste et les violences sexuelles dans les transports (l’annonce est à saluer, rester à voir son application concrète…)
Et nous ? Vous ? On fait quoi ?