L’icône française Olympe de Gouges (1748-1793) a brillé dans la presse ces dernières semaines par son absence. Le buste qui devait prendre place à l’Assemblée nationale mercredi dernier n’était pas prêt et l’inauguration a été reportée. Maudite, Olympe ?
C’est la première fois qu’un buste de femme sera exposé au Palais-Bourbon. Cette sculpture constitue néanmoins un pis-aller pour toutes celles et ceux qui se sont mobilisés en faveur de la panthéonisation d’Olympe de Gouges. En première file, l’historienne Catherine Marand-Fouquet, qui lance en 1989, en pleine effervescence commémorative, un appel pour que la révolutionnaire entre dans le temple des grands hommes. Depuis, et sans succès, les appels se sont multipliés. Le Panthéon compte actuellement quatre femmes : Sophie Berthelot, en sa qualité d’épouse du chimiste Marcellin Berthelot depuis 1907, la physicienne Marie Curie depuis 1995, les résistantes Geneviève de Gaulle-Anthonioz et Germaine Tillion, panthéonisées cette année, auprès de 73 hommes.
En 2013, année du bicentaire de l’exécution de cette figure historique, un collectif, comptant dans ses rangs Osez le féminisme, les Féministes en Mouvement, la Coordination pour le lobby européen des femmes et La Barbe, lance une pétition en ligne, « François Hollande : panthéonisez des femmes », et propose cinq noms, Olympe de Gouges en tête. La consultation portée la même année par le Centre des Monuments Nationaux conduit au même résultat. Mais le Président a souhaité privilégier des figures proches de notre époque et la révolutionnaire a été écartée des élus de 2015.
Olympe de Gouges est une prolifique autrice de roman, théâtre, pamphlets et essais qui traitent de l’abolition de la traite négrière et de l’égalité des sexes. Sa Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, parue deux ans après la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, en 1791 met les révolutionnaires face à une aberration qui allait devenir le terreau de toutes les luttes féministes au XIXe siècle, la citoyenneté de second ordre, et pointe du doigt l’exclusion politique des femmes qui seront aussi contraintes à la sujétion civile après l’instauration du code napoléonien en 1804. Le texte Les droits de la femme, qui sert de préambule à la Déclaration, formule les termes de la domination masculine :
Homme, es-tu capable d’être juste ? C’est une femme qui t’en fait la question ; tu ne lui ôteras pas moins ce droit. Dis-moi ? Qui t’a donné le souverain empire d’opprimer mon sexe ? Ta force ? Tes talents ? Observe le créateur dans sa sagesse ; parcours la nature dans sa grandeur, dont tu sembles vouloir te rapprocher, et donne-moi, si tu l’oses, l’exemple de cet empire tyrannique (…) L’homme seul s’est fagoté un principe de cette exception. (…) Il veut commander en despote sur un sexe qui a reçu toutes les facultés intellectuelles ; il prétend jouir de la Révolution, et réclamer ses droits à l’égalité, pour ne rien dire de plus.
Olympe de Gouges a été guillotinée en 1793, pour avoir pris position contre Robespierre. Une semaine après son exécution, un journaliste du Moniteur universel, organe de propagande montagnard, sanctionnait néanmoins la nature transgressive de son activité politique par ses mots : « Elle voulut être homme d’Etat. Il semble que la loi ait puni cette conspiratrice d’avoir oublié les vertus qui conviennent à son sexe ». Ses détracteurs au XIXe siècle n’auront cesse de disqualifier l’oeuvre de cette figure féminine hors norme avec les arguments récurrents de l’époque, en particulier le sceau de la pathologie. Elle était hystérique ; c’est ce que défend Alfred Guillois dans sa thèse pour devenir docteur en médecine en 1904, intitulée Etude médico-psychologique sur Olympe de Gouges.
illustration issue de la BD « Olympe de Gouges » par Catel et Bocquet
Olympe de Gouges est considérée comme la première féministe française. Elle n’a pas été condamnée à l’échafaud pour sa Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, un texte qui a vraisemblablement eu peu d’écho dans la société de l’époque. Mais dans l’histoire féministe son exécution est directement associée à sa prise de parole publique, comme le souligne Joan W. Scott dans l’un des essais de sa Théorie critique de l’histoire (2001) : « Le sort de De Gouges –son exécution par les jacobins en 1793– a relié la menace d’une punition mortelle à la revendication, par les femmes, de leurs droits politiques, de l’exercice de la parole dans l’espace public (ce qui substitue à la logique de l’argumentation un effet de transgression et sa punition subséquente) ».
Certains historiens argueront que son évincement du Panthéon est à mettre sur le compte des positions politiques d’Olympe de Gouge dans un contexte historique, la Terreur, dont la lecture est encore polémique. Les féministes anarchistes balayeront d’un revers de la main une vaine prétention à l’inscrire dans l’un des antres patriarcaux de la mémoire.
Il n’empêche, ce refus fait résonner avec fracas la punition d’Olympe et maintient intact la vigueur de sa transgression dans un pays où les femmes sont largement sous-représentées dans l’espace public.
A lire ou relire :
Geneviève Fraisse, Muse de la raison. La démocratie exclusive et la différence des sexes (1989)
Joan W. Scott, La citoyenne paradoxale : les féministes françaises et les droits de l’homme (1996).