Queer code, c’est un jeu de mots. Un jeu de mots pour évoquer les codes : ceux qu’ont eu tatoués à même leur peau des résistant.e.s, ceux qu’on a imposé au nom de systèmes totalitaires, ceux qu’on a décrypté, à l’image d’Alan Turing dont on redécouvrait l’histoire grâce au film Imitation Game.
Queer code, c’est avant tout un projet participatif qui a pour but de donner de la visibilité aux femmes (quelle que soit leur orientation sexuelle) et aux personnes transgenres qui ont pris part à la Résistance et contribué à écrire l’Histoire de la Deuxième Guerre Mondiale. C’est Isabelle Sentis qui est à l’origine de cette belle initiative qu’elle présentera ce samedi à Genève et nous avons eu la chance d’échanger avec elle.
Isabelle Sentis milite depuis une vingtaine d’années notamment sur les questions en lien avec l’invisibilisation des femmes dans « la grande Histoire ». Avec des militantes du Collectif Lesbien Lyonnais, mais pas seulement, elles ont accumulé des réflexions, des traces, des outils, elles ont fait un travail de mise en réseau et d’échange auquel elles ont voulu donner plus d’ampleur. Petit à petit est né le désir de construire un espace, un outil qui permette d’accéder à ces ressources au plus grand nombre. C’est ainsi qu’est né le site www.queercode.net. Le QR code, l’identité visuelle du projet, a aussi pour but de rematérialiser ces ressources mises dans un espace numérique, de les rendre visibles au-delà d’internet.
Queer code, c’était aussi un moyen pour Isabelle Sentis de s’essayer à réfléchir et militer autrement. Loin de hiérarchiser les savoirs, Queer code a pour but de les réunir, c’est la raison pour laquelle le site offre différentes « portes d’entrée » dans l’univers des femmes et des lesbiennes qui ont pris part d’une manière ou d’une autre à l’histoire de la Deuxième Guerre Mondiale. C’est un espace fluide, hybride qui a vocation à évoluer en fonction des rencontres, des réflexions, des participations. Au gré des rencontres, les militantes recueillent les avis de toutes et tous.
L’implication des femmes et des lesbiennes, notamment dans l’histoire de la Résistance, est devenue un objet de recherche universitaire. Mais en créant Queer code, il s’agissait aussi de permettre à toutes et tous de s’emparer de ces questions-là. C’est un édifice auquel chacun.e peut apporter sa pierre, quand bien même il ou elle ne serait ni historien, ni archiviste, ni universitaire. C’est pourquoi la démarche est protéiforme : scientifique, artistique, d’éducation populaire, mais pas seulement.
Quand on lui demande pourquoi s’intéresser à l’histoire de la Résistance, Isabelle Sentis n’a pas de mal à convaincre du bien-fondé de la démarche. Si la société évolue et qu’il faut saluer les avancées, il n’en reste pas moins que les combats féministes sont nombreux et nécessaires. La société commence à parler des LGBTQI dans l’histoire, il faut « aider la société à le faire, ça doit se faire avec nous ». Et s’emparer des questions mémorielles permet aussi de questionner les homophobies d’aujourd’hui.
L’histoire de la Deuxième Guerre Mondiale est le reflet de nombreuses luttes, de nombreux combats actuels y puisent leur source. « Comme bien des guerres, la Deuxième Guerre Mondiale est le point névralgique de beaucoup de changements, de beaucoup de bouleversements dans la société. » Isabelle nous parle du travail titanesque entrepris par le Collectif Lesbien Lyonnais pour transmettre l’histoire des LGBTQI, notamment autour de Stonewall. Elle nous parle de cette soldate américaine engagée dans la Deuxième Guerre Mondiale qui participera aux luttes pour l’égalité des droits après la guerre. Travailler sur l’histoire des lesbiennes dans la Deuxième Guerre Mondiale, c’est se relier à des femmes qui ont lutté, qui luttent et continueront à le faire, à nos côtés.
Il s’agit en effet aussi de s’autoriser à construire nos propres imaginaires qui sont appauvris par une société hétéronormée et misogyne. C’est d’ailleurs de là que naît le parti pris d’une posture résolument positive : si des aspects plus sombres de l’histoire des femmes et des lesbiennes pendant la Deuxième Guerre Mondiale ont vocation à être abordés, c’est avant tout la question de la Résistance et des persécutions qui est posée aujourd’hui. Le but est de permettre une représentation positive des femmes et des lesbiennes, de construire un imaginaire auquel chacune puisse se référer.
Il s’agit aussi de s’inscrire dans une lutte sur la reconnaissance et la visibilité des persécutions des femmes par rapport à d’autres groupes militants « mixtes » souvent portés par des hommes, parfois un peu trop « gaycentrés ». Comprendre les mécanismes d’oppression des femmes et des lesbiennes dans l’Histoire est peut-être plus complexe, mais c’est faisable. Outil de lutte LGBTQI, Queer code est bien un outil de lutte féministe.
Comment participer ? Rien de plus simple, Isabelle Sentis répond : « Que veulent faire les gens ? On a surtout envie que les personnes aient envie ». Chacun.e peut contribuer à sa manière, ça va de la traduction, à la recherche de ressource en passant par les contacts avec les musées. Il y a de la matière sur ces questions mémorielles. Même si le temps passe et que les témoignages oraux se font de plus en plus rares, si les ressources sont parfois difficiles à trouver, elles existent bel et bien quand on prend le temps de les regarder, « si l’on se décentre de l’hétéronorme, des choses émergent peu à peu » explique Isabelle. La parole se libère dans certaines familles qui s’autorisent à témoigner, à raconter l’histoire d’une tante, d’une cousine. « Des BD, des films, des récits, des articles universitaires comme ceux de Christine Bard… Il existe plein de portes d’accès » ajoute-t-elle.
C’est quelques-unes de ces portes d’accès que l’on pourra pousser samedi 7 novembre à Genève, avec l’association Lestime. Il s’agira de présenter le site et la démarche mais également de présenter certaines femmes suisses qui restent méconnues. Partager des ressources et se mettre à réfléchir ensemble, étudiantes, professeures d’université, militantes mais pas seulement. La réalisatrice Carole Bonstein présentera également son travail et parlera de la journaliste et écrivaine suisse Annemarie Schwarzenbach. Les travaux et discussions seront suivis d’un moment de convivialité, le but étant avant tout de déboucher sur des rencontres, de nouvelles idées et développer d’autres projets, comme, par exemple, des ateliers d’écriture fictionnelle, pour marcher dans les pas de Monique Wittig qui écrivait dans les Guerrillères: « Fais un effort pour te souvenir. Ou, à défaut, invente. »
www.queercode.net
www.lestime.ch