Le 3 décembre 2015, Jacqueline Sauvage, 68 ans, était condamnée à 10 ans de réclusion pour le meurtre de son mari violent. François Hollande lui a accordé une grâce partielle. Jacqueline comme Alexandra ou Bernadette ont tué leur mari violent. Retour sur des cas exceptionnels.
La cour d’Assises du Loir-et-Cher confirmait en appel la condamnation de Jacqueline Sauvage reconnue coupable d’avoir tué son mari par trois coups de fusil dans le dos. Nous fûmes nombreuses alors à lire avec dégoût les quelques bribes de compte-rendu d’audience qui laissaient transparaître la culpabilisation des victimes du tyran domestique. Pas de plainte déposée, pas de fuite, pas de tentative réelle pour enrayer le cycle de la violence dans lequel l’épouse et les quatre enfants furent pris pendant 47 ans. L’ignorance a fait émerger des commentaires étonnants, comme ceux d’Aude Lorriaux qui égrenait les questions sur le libre arbitre de la victime transformée en bourreau : Etait-elle sous l’emprise de son mari au point d’être totalement empêchée de porter secours à ses filles, battues et violées par leur père, et à elle-même? Et n’avait-elle pas d’autre choix que de lui tirer trois balles dans le dos à cause de la terreur qu’il exerçait? Une femme battue a-t-elle encore le choix? Est-elle encore libre de ses actes? Elle ne parlait pas du fils de Jacqueline Sauvage qui s’était donné la mort la veille du meurtre. Libre arbitre donc.
L’affaire Jacqueline Sauvage faisait résonner celle d’Alexandra Lange qui en 2009 tuait d’un coup de couteau son mari violent lors d’une dispute. Un mari dont elle et ses quatre enfants enduraient les coups depuis 12 ans. Dans son réquisitoire, l’avocat général Luc Frémiot, qui se bat depuis de nombreuses années contre ce fléau, s’adresse aux jurés et formule la question centrale. Pourquoi n’est-elle pas partie avec ses enfants sous le bras. Il expliquait alors les ressorts de la violence, la terreur et l’anéantissement. Alexandra est finalement acquittée et raconte son histoire dans un livre publié en 2012, porté à l’écran dans un téléfilm diffusé en janvier 2015, L’emprise.
Image issue du téléfilm L’Emprise
Les deux avocates d’Alexandra, Janine Bonaggiunta et Nathalie Tomasini, spécialisées dans les violences conjugales, ont plaidé en vain la légitime défense pour Jacqueline Sauvage. La forte mobilisation aura finalement pu infléchir la condamnation. Le 4 février dernier, Bernadette Dimet, 59 ans, a été condamnée à 5 ans de prison pour avoir abattu son mari par deux coups de fusil. Un mari dont elle avait subi les violences pendant 39 ans. Ses avocats avaient visiblement renoncé à plaider la légitime défense pour privilégier l’homicide volontaire en insistant néanmoins sur des conditions d’existence marquées par le désespoir.
La définition actuelle de la légitime défense prévoit une concomitance entre l’agression et la riposte ainsi qu’une proportionnalité dans les actes et ne s’applique pas aux cas de Jacqueline ou de Bernadette. La députée LR des Bouches-du-Rhône Valérie Boyer, avec l’une des deux avocates de Jacqueline Sauvage veut créer un état de légitime défense différée à l’image de ce qui existe dans le droit canadien, qui s’appuie sur la notion de « syndrome de la femme battue » reconnu par la Cour suprême du Canada depuis 1990.
Ce syndrome est un ensemble de signes cliniques définissant l’état post-traumatique des femmes subissant la violence sur une période longue. Elles se sentent alors isolées et impuissantes et consacrent toute leur énergie à développer des stratégies de survie à court-terme. Il conduit à un état de soumission et d’apathie qui mine l’estime de soi et amoindrit la capacité de jugement. ll n’est alors plus question de libre arbitre.
Plus de 200 000 femmes sont chaque année victimes de violences conjugales. Un chiffre sous-estimé puisque seulement 10% des victimes portent plainte. Les mécanismes qui président à la violence physique et ses effets au sein du couple restent encore largement méconnus en France.
A lire :
Marie-France Hirigoyen, Femmes sous emprise. Les ressorts de la violence dans le couple, 2005.