Lorsque j’ai écrit mon premier témoignage sur Barbi(e)turix, texte mortuaire qui enterrait quatre années très difficiles dans l’industrie musicale, j’ai reçu de nombreux commentaires culpabilisants venants de femmes, des remarques qui remettaient en question mon expérience, mon ressenti : « elle aurait dû partir avant », « elle ne se respecte pas », « moi à sa place je n’aurais pas fait comme ça », « elle n’était pas assez forte ». Des jugements hâtifs. Et même si ces femmes avaient été à mes côtés durant toutes ces années, de quel droit se permettaient-elle de me juger, de me mépriser ?
Tous ces commentaires venant de personnes que je ne connaissais pas, m’ont amenée à réfléchir, à essayer de comprendre d’où venait cette dynamique. A puiser à l’intérieur de mes viscères, à m’interroger sur mes propres réactions, sur ma capacité à juger, à toujours être dans le jugement. Je remercie toutes ces femmes qui m’ont permis de mettre en avant une mécanique interne, une mécanique qui n’est pas que mienne, un réflexe humain. Je me suis alors sentie obligée de parler de cette sororité invisible, de cette illusion tenace qui laisserait croire que les femmes se soutiennent entre elles. La femme peut être un loup pour la femme.
Pour moi le féminisme doit avant tout être un espace où les femmes peuvent s’exprimer librement tout en étant écoutées et non montrées du doigt. Si la femme est jugée non seulement par les hommes mais aussi par les autres femmes, il ne reste plus aucun espace dans lequel elle peut partager dans le respect, dans la bienveillance. Le risque est de s’isoler encore un peu plus.
Il faut des lieux d’expression respectueux, sans jugements, c’est nécessaire, parce que les femmes peuvent être très dures les unes envers les autres. On nous a appris et ce de façon plus au moins subtile à considérer les autres femmes comme des rivales. On nous a appris que notre corps, notre visage sont nos plus-values, que la séduction est notre arme. Les autres femmes sont des obstacles sur notre chemin. Il n’y a pas assez de place pour toutes, et surtout il faut faire vite, vite avant que le temps marque notre peau, les années qui glissent, qui trébuchent. Les femmes ont plus l’habitude que les hommes d’évoluer seule. Même au sein des groupes de copines, elle se jugent entre elles. La question de solidarité entre femmes est complexe. Pour ma part je trouve que la notion de sororité manque. La mise en compétition que l’on subit est inutile, et à qui profite le crime ?
Il y a aussi la notion de culpabilité, cette culpabilité que certaines féministes brandissent face à d’autres femmes qui s’essayent au féminisme, des femmes qui ne font jamais assez bien, qui ne sont jamais assez extrêmes, comme si il y avait un kit de la parfaite féministe, comme si celles qui ne faisaient « pas assez bien » déshonoraient toutes les féministes. Comme si essayer c’était déjà échouer.
En prenant le temps de partager mon témoignage difficile, je n’avais pas besoin d’essuyer de jugements, c’est dommage. Je vous demande à toutes et tous un peu plus d’amour. Si vous n’avez pas vécu d’expérience similaire, tant mieux, j’espère que ça ne vous arrivera jamais. Cependant, estimer que mon cas est isolé, que je suis une victime unique, c’est nier mon expérience propre et celles d’autres femmes dans de nombreux milieux professionnels. C’est faire exactement ce que font certains hommes face au sexisme, face à la violence que les femmes subissent. Minimiser l’expérience d’une femme c’est l’isoler, et isoler une victime c’est faire du mal à toute la communauté.
Heureusement le soutien que j’ai reçu a été bien plus important, mais il nous arrive à tous d’offrir une plus grande tribune au négatif et de laisser le positif partir par la petite porte.
Mais pourquoi donc les femmes sont-elles si dures entre elles ? N’est-il pas temps de rétablir cette solidarité qui semble être bien plus présente chez les hommes ? Est-ce qu’une femme qui n’agit pas en fonction de ce que la morale veut entacher la réputation féminine toute entière ? Est-ce que chaque femme a l’immense responsabilité de ne pas faire honte à la réputation du genre féminin ? Que ce soit d’un extrême à l’autre, la femme fait toujours mal et les garants de cette bienséance sont aussi et surtout des femmes.
Il est tragique de constater qu’on lie toutes les femmes entre elles à l’aide d’une trame invisible mais bien présente. J’ai toujours été choquée par ce manque de solidarité, comme si les femmes étaient conscientes d’une dette qui les dépasse, et qu’elles en ressentent le poids au contact des autres femmes. Je sais que la question de la rivalité féminine est très complexe et qu’elle a de nombreuses causes mais je pense que cet axe est intéressant et mérite d’être traité. J’ai toujours été surprise par ces femmes qui clament haut et fort qu’elles détestent les femmes et qu’elles ne se sentent bien qu’en présence des hommes, c’est étrange et l’on retrouve plus rarement la dynamique inverse. La présence féminine semble pour certaines femmes comme désagréable. Cependant, si on lit en filigrane, cela ne veut-il pas aussi dire « je me déteste » ? Toutes les femmes sont différentes et il est possible que l’on puisse se retrouver mal à l’aise avec certaines « représentantes » du sexe féminin, cependant détester ses semblables, c’est particulier.
En tant que femmes nous sommes aussi actrices de notre propre soumission, comme si nous avions accepté notre sort avec résignation, un sort immuable. Il est effectivement difficile de se dépêtrer d’une telle situation mais on a le droit de dire STOP, même si cela entraine des conséquences plus ou moins désastreuses, ce STOP existe et il aura encore plus de pouvoir lorsque nous serons nombreuses à le scander.
J’entends souvent des femmes traiter de salopes d’autres femmes, qui assument leur sexualité ou qui se promènent dans la rue court vêtue. La jalousie s’infiltre partout, c’est comme si les femmes qui avaient assimilé les règles de la soumission voulaient faire payer aux femmes qui se rebellent leur désobéissance. Leur faire payer de ne pas jouer le jeu, de ne pas faire comme elles, elles qui ont bouffé de ce pain là jusqu’à vomir et tout avaler. La liberté a un prix, et celles qui se rebellent appuient sur une plaie encore vive, celle de ces femmes qui acceptent la situation sans en avoir envie ou même sans s’en être posé la question. C’est comme si ces « salopes » trahissaient la règle implicite, celle qui veut que toutes les femmes souffrent ensemble, si l’une ose se libérer du joug masculin, les autres la rappelleront à l’ordre. L’homme n’a même plus besoin d’exercer son pouvoir coercitif, elles s’en chargent.
Nous devons nous soutenir, nous devons toutes arrêter ce jeu mesquin (si certaines ont réussi bravo, qu’elles continuent), ce jeu de la comparaison, de toute façon nous n’en sortons jamais gagnantes. Je vis mal cette situation car je sens qu’elle est enracinée et que j’y participe aussi malgré moi, je me fais violence pour ne pas tomber dans cet engrenage, j’essaye d’analyser mes ressentis face à d’autres femmes, d’autres femmes que je considère plus belles, plus brillantes. Il n’y a rien de positif qui sort de cette compétition, de ce combat. J’en sors juste plus épuisée, et plus je me compare, moins je suis dans l’acceptation et l’amour de ma personne. La personne que je vois tous les jours dans le miroir, c’est moi que je le veuille ou non et ce jusqu’à la fin de cette vie, soit je m’accepte, soit je me torture, à moi de décider si je veux me construire en fonction des autres ou en fonction de moi.
En tournée, certaines chanteuses se sentaient menacées par moi, non pas à cause de ma notoriété ou de mon talent (certaines ne savaient pas du tout qui j’étais) mais simplement parce que j’étais femme et qu’elles avaient assimilé l’idée qu’il n’y avait pas de place pour nous toutes. La meilleure gagne, un point c’est tout, la théorie de Darwin en jupe. Alors que l’on pourrait échanger nos conseils, nos histoires, nos difficultés, alors que l’on pourrait collaborer, s’enrichir de l’expérience de l’autre, en somme partager.
A mon avis la compétition est particulièrement rude dans le chant, car le physique dans certains genres musicaux compte tout autant voire plus que la qualité de la voix. La chanteuse est le faire valoir de son projet, de son groupe, elle est le visage, le corps, elle est le présentoir, ce qui fait vendre. Le talent, lui, est ailleurs, niché dans la testostérone. Les sphères décisionnelles dans la musique étant majoritairement tenues par des hommes, les femmes se retrouvent de nouveau dans cet engrenage de séduction et les autres chanteuses sont donc potentiellement des rivales. On doit séduire le producteur, le manager, le directeur de label, le réalisateur de clip, les journalistes, le public, on doit constamment séduire.
Je crois en la sororité, en la nécessité de se soutenir entre femmes. Nous pouvons faire des choses incroyables ensemble, il faut arrêter de penser que nous sommes des rivales, je suis certaine que la libération féminine passe d’abord par cette idée. Nous ne pourrons rien libérer tant que la situation entre les femmes est sclérosée, nous ne pourrons rien libérer tant que la révolution n’a pas lieu en interne. Notre force vient de l’union, nous sommes toutes dans le même bateau.
JE REFUSE DE ME SENTIR EN COMPÉTITION CONSTANTE AVEC LES AUTRES FEMMES
JE REFUSE DE TOISER LES AUTRES FEMMES
JE REFUSE DE JUGER LES MOEURS DES FEMMES
JE REFUSE LA MESQUINERIE A L’ENCONTRE DES FEMMES
JE REFUSE DE DÉTESTER MES SEMBLABLES TOUT CA PARCE QUE J’AI PEUR DE MOI-MÊME
JE REFUSE LA MISOGYNIE FÉMININE
JE REFUSE D’ÊTRE JALOUSE DE TOUTES CELLES QUE JE NE SERAI JAMAIS
JE REFUSE POUR NE PAS ME SENTIR ALIÉNÉE
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J’en profite aussi pour vous annoncer la création de SWOOD (sisterhood in the wood), une initiative qui commencera par une page Facebook, une impulsion créée par Soraya Cadelli (ma soeur) et moi-même. L’idée est d’offrir aux femmes, quelque soit leur travail, une tribune pour parler, de façons anonyme ou non, du sexisme qu’elles subissent. Un espace bienveillant où les femmes peuvent se soutenir, une sororité. On commence d’abord par un témoignage, car témoigner, c’est un moyen de se lier aux autres, de se montrer en situation de vulnérabilité, de se montrer avec ses blessures, c’est une volonté de changement. Par la suite, nous souhaitons que SWOOD devienne un collectif, qu’il puisse mettre en avant des artistes, des personnes qui entreprennent. SWOOD est un terrain d’expérimentation pour toutes.
Ce long préambule était nécessaire, nécessaire car on a tous besoin de bienveillance. Je peux maintenant partager avec vous mes réflexions sur la femme dans le monde de la musique, l’être humain dans le monde de la musique. J’ai 26 ans, une expérience de 4 ans sur la route avec majoritairement des hommes, la musique est un domaine gouverné majoritairement par les hommes, (ce qui ne change pas vraiment des autres domaines). J’ai envie de parler, d’ouvrir encore un peu plus la boîte de Pandore. Je ne suis pas sociologue, ni spécialiste du genre, je suis juste une femme et j’ai vécu la situation de l’intérieur, j’ai été l’observatrice privilégiée d’un système patriarcale qui tourne en rond, qui s’épuise.
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Amina
Amina a fait partie d’un groupe indé pendant quatre ans. Quatre années durant lesquelles la jeune femme a du se battre pour imposer ses idées. L’année dernière, elle a définitivement quitté le projet pour se lancer en solo, sous le nom de Flèche Love. Elle écrit depuis pour Barbi(e)turix.