Deborah de Robertis investit les musées, se pose devant des œuvres qui représentent des nus féminins et expose son propre corps le temps d’une performance non autorisée. Elle laisse ensuite opérer la confusion pour questionner le regard porté au nu féminin dans les sociétés occidentales et interroger aussi au passage le statut de l’œuvre d’art et de l’objet corps-féminin. Brièvement, avant d’être évacuée par les gardes.
Sa dernière performance s’est déroulée au musée Guimet le 4 septembre dernier, dernier jour de l’exposition consacrée à Nobuyoshi Araki, le photographe japonais passionné de bondage et d’orchidées suggestives. Vêtue d’un kimono blanc transparent et coiffée d’une go-pro, elle plongeait la main dans une moitié de pastèque posée devant son sexe nu, le tout rythmé par des râles de plaisir enregistrés. Elle visait à réinterpréter «paysage avec couleur » qui représente une femme tenant dans sa bouche un morceau de fruit dans un mouvement qui suggère une fellation.
Deborah évoque sa performance : « Dans ma réinterprétation de l’œuvre la pastèque évoque le sexe féminin, mon sexe que je fais juter et que je dévore jusqu’à l’extase en filmant le spectateur. J’ai intitulé ma reproduction « paysage avec go – pro » pour signifier l’importance du regard du modèle. Dans ma performance le dispositif est inversé, ici c’est le modèle qui surprend le voyeur et enregistre son visage et non l’inverse ». Les réactions du public ont été plutôt chaleureuses et bienveillantes, certaines personnes ont même cru qu’il s’agissait d’une animation proposée par le musée…
Le 29 mai 2014, elle réalisait une performance devant L’Origine du monde de Gustave Courbet et le 16 janvier 2016, elle intervenait devant l’Olympia de Manet, une toile de l’exposition « Splendeurs et misères. Images de la prostitution 1850-1910 ». Ces happenings au Musée d’Orsay lui ont valu deux arrestations, 48 heures de garde à vue, 24 h en hôpital psychiatrique et des plaintes pour exhibition sexuelle.
Depuis les années 1960, la performance entre en réaction au marché de l’art, à ses institutions, aux techniques artistiques traditionnelles, canonisées parfois momifiées, qui assigne à l’œuvre d’art la place de totem dans un rituel social bien huilé. Les performeuses questionnent la place centrale du corps féminin comme objet des grandes machineries commerciales et artistiques. A la fin des années 1980 Annie Sprinkle, artiste et militante porno-féministe, livrait sa plus célèbre performance, Public Cervix Announcement, où elle invitait les membres du public à regarder le col de son utérus à l’aide d’un spéculum et d’une lampe-torche. Les performances de Deborah de Robertis brisent le regard muséal univoque d’un spectateur passif vers une œuvre fermée sur son pinacle. Bien sûr, c’est une provocation, au sens étymologique, de « pro » devant, et « vocatio », invitation. Une invitation donc à regarder autrement l’œuvre qu’elle choisit de mettre en miroir dans sa performance, à se voir entre le voyeur et le spectateur, à flirter entre l’obscène et l’obvie.
Et c’est parfois aussi très drôle. Je vous recommande chaudement la vidéo de sa performance lors de la rétrospective « uncensored photographs » sur l’œuvre du photographe américain Andres Serrano aux Musées Royaux des Beaux-Arts de Belgique qui s’est terminée en août dernier où elle réinterprétait The Interpretation of Dreams (Triumph of the Flesh), cliché absent de la rétrospective. Ironie : l’œuvre de Serrano questionne les marges, les tabous, la sexualité, sa série « History of Sex », a connu un vif succès et a suscité pas mal de polémiques. Je ne dis rien, vous verrez « Il y a une dame qui montre tout à tout le monde » sur le vimeo de Deborah. Comme quoi tout montrer, c’est vraiment une question de point de vue.
Les vidéos de Deborah de Robertis ici.
photos : Deborah De Robertis
photo de couverture : Guillaume Belvèze