Fan de ma stagiaire lesbienne ! Leçon n° 1 : Dire son homosexualité

Sidonie travaille dans un ministère où elle cache précautionneusement son homosexualité. Mais lorsque arrive Alice, jeune stagiaire décomplexée et ouvertement lesbienne, ses entraves chancèlent… Premier épisode d’une série de chroniques.

Je travaille dans un ministère, sur lequel, évidemment, je resterai discrète. J’y occupe un poste de communicante depuis la fin 2015. C’est un bon job pour moi : rédactionnel / relationnel.

Si vous connaissez un peu le fonctionnement de l’administration, vous savez que les stages ou les différents contrats proposés, dépendent souvent de nombreuses signatures (chef de service, de département, de division, de direction, du contrôle financier, des ressources humaines, etc.)

Tout est donc très lent.

Mon prédécesseur avait fait la demande d’un stagiaire pour nettoyer l’Intranet. Bien lui en prit. Sur des centaines de candidatures, avant de partir, il a arrêté son choix sur une jeune fille de 23 ans, très diplômée, trilingue et sans expérience professionnelle. Traduisez : élément surqualifié, motivé, vraiment pas cher.

Cette jeune personne est arrivée dans l’open space il y a seulement trois semaines. Je l’appellerai Alice.

Alice est compétente, même plus. Elle est vive, intelligente, agréable, autonome, cultivée, bonne en orthographe et même ponctuelle… Je ne crois pas avoir jamais eu un stagiaire qui lui arrive à la cheville. Elle percute, en une seule fois, elle comprend tout. C’est, selon l’expression consacrée, une tête bien faite.

Mais il y a mieux : elle est homo. Et il y a encore mieux : elle est homo et elle le dit. Pas à moi, évidemment, directement :

– Bonjour chef, je m’appelle Alice, je suis la stagiaire lesbienne.

Mais dans la conversation, comme ça, en passant. Par exemple : le jour de son arrivée, après la pause déjeuner, Alice se tient devant la machine à café avec ses jeunes collègues, tous stagiaires. Je les salue et vais me poster à quelques mètres de là, devant les ascenseurs. Les jeunes font connaissance, Alice est bombardée de questions : tu fais quelles études, tu es en quelle année, dans quelle fac, tu habites où, tu as un copain ?

– Non, moi je n’ai pas un copain, j’ai une copine.

Woa… Je suis sciée. J’attends l’ascenseur avec la berlue. Woa… Les jeunes de maintenant… Woa… La gamine… C’est quelqu’un.

Personnellement, quand j’ai compris que j’étais amoureuse d’une femme, j’en ai fait une maladie. Des vomissements, des évanouissements, trois lumbagos. Sans déconner. Et elle, 23 ans, c’est net, simple, c’est dit : j’ai une copine. Sujet, verbe, complément. Quatre mots. Quatre si simples, si anodins, si petits mots.

Je l’admire. Je ne peux pas le lui dire. Peut-être, en dehors du boulot, si je la connaissais un peu mieux… Alors je lui avouerai que je la trouve adorable. Et brave, naturelle, magnifique, forte, honnête, accomplie. Je lui dirai, comme une grand-mère bienveillante, qu’elle a tout pour réussir et que je lui souhaite plein de belles choses avec cette copine et dans la vie en général.

Mais au lieu de ça, je reste le nez collé aux ascenseurs, je fais comme si je n’avais pas entendu.

Est-ce que toutes les jeunes lesbiennes ont sa force ? Je me sens vieille et je me trouve lâche, tout à coup… J’ai la quarantaine, je suis mère d’un enfant et en concubinage avec une femme. Ma vie privée n’a pas sa place sur mon lieu de travail. Je ne parle pas de mes proches et personne ne connaît l’existence de ma compagne. Pas de coming out en vue, donc.

Placard, placard, placard.

Placard. J’ai l’impression que la jeune Alice n’y a jamais été enfermée. Autres temps, autres mœurs… Le petit groupe de stagiaires l’a tout de suite adoptée. Les jeunes ne semblent pas réagir à l’annonce de son orientation sexuelle. Tout est apaisé, normal. Je les trouve tellement gentils, ouverts…

Faudrait-il que je compare avec ce que j’ai pu vivre ? J’évoquerais de vieux amis perdus, des moues dégoûtées et des questions salaces ? J’évoquerais l’indiscrétion, la vulgarité, l’indécence, la perversité ? Non, non. Je préfère parler d’Alice, du respect qu’elle m’inspire, de son naturel, de sa dignité.

Comment dire ? Comme les jeunes : Je suis fan ! Fan d’Alice. Je l’observe vivre au grand jour ce qui m’est interdit. Je me régale. Je prends un bol d’air, des claques et des leçons.

Grâce à elle, je comprends la représentation de ce nain, perché sur les épaules d’un géant, que j’ai vue dernièrement sur la pierre de la cathédrale de Chartres. Merci Alice. Les plus petits vous guideront. Fiez-vous à la jeunesse.

Alors, après « Dire son homosexualité », que m’enseignera-t-elle ?

Sidonie

 

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