Pas facile tous les jours d’être une femme dans le monde de la musique, en particulier quand il s’agit de musique électronique où mâles en tout genre jouent leur virilité sur des lignes de basse. Pas facile de s’imposer quand on s’appelle Charlotte et que l’on souhaite se faire reconnaître pour ce que l’on est et pas pour son genre. Multiples sont les entraves, barrières à franchir, coups bas à éviter. Les choses évoluent, mais vont-elles assez vite ? En tous cas, la belge a laissé au placard le nom de scène qui la sauvait des préjugés, Raving George, pour s’assumer entièrement en de Witte, et chez Barbi(e)turix, on aime ça. Elle mettra donc le feu au Central samedi prochain pour une Wet For Me supra humide, supra sale, et super sexy.
Comment on devient DJ, Charlotte de Witte ?
En gros, je me suis pris de passion pour la musique électronique juste après avoir déménagé de la petite ville où je vivais, pour m’installer, dans le cadre de mes études, à Gand. J’ai commencé à sortir beaucoup, en particulier dans le monde plus underground de la musique électronique. Au bout d’un moment, j’ai décidé de télécharger Virtual DJ. Au début, c’était juste pour faire des mixtapes de mes tracks préférés, juste pour écouter dans la voiture sur le chemin de l’école le matin. Puis je les ai partagées avec mes ami(e)s, ils m’ont motivée pour que je le mette en ligne, sur MySpace. J’ai fini par m’intéresser de plus en plus à tout ça et me suis acheté mes premières platines peu de temps après (une table de mixage Korg et des platines Numark CDJ). Là où les choses ont commencé à prendre de l’ampleur, c’est quand, bizarrement, je me suis retrouvée impliquée dans un accident de voiture et ai reçu un peu d’argent de l’assurance. J’ai investi dans des platines plus décentes, une table de mixage Pioneer et un bon MacBook, c’est quelque chose de fondamental dans mon évolution en tant que DJ.
Un peu difficiles de s’imposer quand on est une femme non ?
Pour être complètement honnête, oui, ça n’a pas été tous les jours facile. Les gens n’avaient pas l’habitude de voir une fille derrière les platines. Pas mal d’idées fausses circulaient sur la question à l’époque, et j’ai tout fait pour les déconstruire. Je voulais que les gens me bookent pour ma musique, mon travail, ni plus ni moins. La musique a toujours été et restera la chose la plus importante de ma vie, la raison de qui je suis et de ce que je fais aujourd’hui. Voilà pourquoi j’ai commencé avec un nom de DJ masculin, Ravin George. Puis il y a un an, j’ai finalement décidé de reprendre mon véritable nom, Charlotte de Witte. Je ne ressentais plus le besoin de me cacher derrière mon genre. J’ai grandi, je sais qui je suis désormais et où je veux aller.
La chose la plus difficile à supporter a toujours été tous ces préjuges qui existent sur les filles djs. Les femmes DJs doivent travailler plus dur que les mecs pour s’imposer et être prises au sérieux. C’est encore pire quand il s’agit de produire du son et pas seulement mixer.
Tu dis t’être, au fil du temps, tournée de plus en plus vers la techno. Tu as commencé avec quoi ?
Mon premier amour a été la musique électronique dans sa généralité : Crookers, Erol Alkan, The Bloody Beetroots… Un type de musique très animé, habité. Au fil des années, j’ai eu plus de temps pour réfléchir à ce que j’attendais de la vie, j’ai mûri, les choses sont devenues moins chaotiques, plus canalisées et je me suis retrouvée dans la techno.
C’est ta vie en général qui a changé ?
Je ne sais pas. Je crois que j’ai juste grandi. Je ne pensais pas que la musique prendrait autant de place dans ma vie. J’ai commencé comme un hobby, je n’aurais jamais pensé que ça deviendrait mon job à plein temps. Le temps a passé puis voilà, c’est arrivé comme ça. Et honnêtement je ne pourrais être plus heureuse.
Pas mal de gens craignent que la techno, très à la mode à nouveau depuis quelques années, finisse par se dénaturer. Tu en penses quoi ?
C’est vrai que la techno est devenue à la mode, ce qui est un peu dangereux. Tout ce qui monte, fonctionne, prend aussi le risque de s’écrouler. Néanmoins, il existe de nombreux sous-genres dans la techno, et je pense que certains d’entre eux ne mordront pas à l’hameçon du « mainstream » et resteront alternatifs. Aujourd’hui, la techno a la chance de pouvoir se réinventer et je pense que tout sera mis en place pour que sa nature underground en soit préservée. Je pense qu’aucun dj techno n’a intérêt à ce que la techno devienne le nouvel EDM.
C’est quoi pour toi la chose la plus importante dans un dj set ?
Lire, écouter et ressentir le public pour savoir exactement quoi jouer.
Tu ressens quoi d’ailleurs, quand tu joues ?
Je me sens bien, heureuse. Voyager autant fait que je suis souvent fatiguée, puis quand je monte sur scène, j’oublie toute la fatigue et je rappelle alors à chaque fois pourquoi j’aime mixer et tourner dans le monde. Mon travail consiste à rendre les gens heureux, et il n’y a rien de mieux, c’est la plus belle chose au monde.
Ton premier sentiment, quand on t’a invitée à jouer à la Wet For Me ?
Je suis très engagée dans la cause défendue par Barbieturix. Il y a un réel problème pour les femmes dans le monde de la musique électronique et les choses doivent changer. J’adorerais voir plus d’artistes femmes sur scène. Le seul truc qui me dérange parfois, ce sont les événements où ne figurent que des noms de femmes, ça me donne l’impression que les artistes bookées ne sont là que parce qu’elles sont des femmes et pas forcément toujours pour leur musique, ce que je trouve super paradoxal.
Être une femme dans la musique électronique est donc compliqué. Mais est-ce que tu y vois un avantage, aussi ?
Ha oui ! Tout n’est pas négatif quand même. Il n’y a pas beaucoup de femmes, donc finalement, quand tu es une femme et que les gens aiment ce que tu fais, tu sors vraiment du lot. Puis de nos jours, les gens sont de plus en plus sensibilisés à la parité dans les line-up, l’industrie de la musique, que ce soit les bookers, les producteurs, les labels etc, mettent de plus en plus en avant les femmes.
Tu te vois où dans 10 ans ?
Dur à dire. Je pense que les cinq prochaines années seront cruciales pour ma carrière. J’attends de voir où va aller ma musique et quelles portes vont s’ouvrir. Évidemment, j’espère aller le plus loin possible et tirer le maximum de tout ça. Mais on ne peut jamais prédire l’avenir. Même si je pense qu’un jour j’arrêterais les tournées je ne pense pas quitter complètement le monde de la musique. Je pense que qu’oi qu’il arrive je ressentirai toujours l’envie de faire de la musique.
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Charlotte de Witte sera à la Wet For Me – Dirty edition – samedi 14 janvier 2017 à la Machine du Moulin Rouge
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