Demain je ne marcherai pas, marche pour moi. Demain je ne serai pas là, marche pour moi.
Je me voyais fière auprès de vous, j’imaginai déjà clamer ma joie, danser, t’embrasser, toi que je ne connais pas. Trente ans passés, jamais osé. Cette année, je le fais. Pour moi, pour toi, pour ceux qui n’ont pas les droits, pour mes petits, pour leurs petits, pour les morts, pour les vivants, avec des paillettes, des plumes, des couleurs, des chars, trop de maquillage, pas assez de vêtements, avec elle, sans toi, de la musique, de la joie, être moi.
Mais tu vois, je ne marcherai pas.
J’ai cédé, invitée à ce déjeuner. Grand’messe familiale. N’en parle pas, ça les tuerait. Joue le jeu, sois gentille ! Arrête ton caprice. Quand t’auras fini ta crise, on en reparlera.
J’ai cédé, tu vois, et je ne suis pas fière de moi. Moi la grande gueule, qui crie sur tous les toits. La facilité qui l’emporte, pas la force pour ce combat-là. Envie d’être encore une fois la gentille petite, celle qui avait tout pour réussir, pourtant. Pas envie de payer pendant des mois la note de mon absence. Ils me tiennent. Je n’ai pas résisté, pas assez. Je ne veux même pas en discuter. Plus me justifier. J’ai cédé. Je ne marcherai pas.
Je me croyais fière, pisseuse-debout, auprès de vous et je serai queue entre les jambes parmi ceux qui me récusent. Sentir le fossé qui se creuse entre eux et moi. La haine de l’autre qui s’insinue, et puis la haine de soi. Sentir la colère et l’impuissance, ne pas être celle que l’on attendait, être celle qui déçoit. Faire semblant, se faire mal, en avoir honte. Je ne suis pas fière.
Demain, je ne marcherai pas. Marche pour moi. S’il te plaît, marche pour moi.
Amandine
Crédits photos : Philippe Lejeanvre et Marie Rouge