Les témoignages pleuvent. Ouragan de #metoo et déluge de #balancetonporc. On assiste aujourd’hui à quelque chose d’inédit, un coup de gueule mondial synchronisé, initié par l’affaire Weinstein. La libération de la parole des victimes du producteur a pulvérisé pour un temps la paroi d’hypocrisie qui enfermait les violences sexistes. Prenons garde surtout à ce que cette cloison ne se reconstitue pas aussi rapidement qu’elle s’est brisée.
Alors bien sûr, on le savait. Parce que c’est arrivé à notre copine, à notre soeur, et bien souvent, à nous même. C’était quelque chose qu’on se confiait entre proches. Tous ceux qui faisaient l’autruche font désormais semblant de s’étonner d’un phénomène qu’ils perpétuent pourtant eux mêmes, sous couvert de « not all men ». C’est ce déni qui conduit à l’invisibilisation effarante de nos vécus. Ce sont les nuances, les « oui mais », la transformation de « harceleur » en « dragueur de rue », la glorification régulière des agresseurs apôtres de la virilité qui rendent possible une domination constante des hommes cis sur le reste de la population.
Si l’erreur aurait été de croire que le monde du cinéma était une bulle d’impunité exceptionnelle, l’initiative de Sandra Muller avec le hashtag #balancetonporc a empêché cette dérive. Paye Ta Shnek en était précurseur : les réseaux sociaux sont en train d’ouvrir une brèche pour changer profondément la donne en termes de harcèlement et d’agressions sexuel.les.
Et contrairement à ce que affirme le Canard Enchainé, cet espace n’est pas un substitut de justice, n’est pas une autre justice, et en fait n’a absolument rien à voir avec la réclamation en justice, la vengeance donc. C’est fondamentalement un espace de discours, de visibilisation d’actes et de propos subis, de nature très différente, tellement intériorisés que la plupart d’entre nous n’en a jamais parlé de façon exhaustive. Il s’agit de nommer, non pas les coupables, mais une part de l’ombre de notre existence, parfois et souvent depuis notre enfance, geste par lequel nous advenons autrement et ensemble, dans l’espace public.
Un gigantesque processus de reconnaissance mutuelle s’amorce alors que les unes redécouvrent les autres. En tant que victime, on ne regarde plus seulement l’agresseur, mais également toutes les personnes non favorisées par le système hétéro-patriarcal (Femmes, trans et cis, personnes non-binaires) qui se trouvent à nos côtés. Par ce coup de projecteur sur l’ampleur des violences, un ensemble éclectique de victimes s’ignorant les unes les autres prennent conscience de former un grand tout rassemblé autour d’un objectif commun de lutte. Et toutes ces femmes et minorités de genre, qu’elles aient décidé de témoigner ou de rester silencieuses, sont autant de voix qu’il est impossible d’ignorer plus longtemps.