La tribune du Monde d’hier « Nous défendons une liberté d’importuner, indispensable à la liberté sexuelle », un texte signé par un collectif de 100 femmes affirme « son rejet d’un certain féminisme qui exprime une haine des hommes ». Et franchement on en demandait pas tant. Ignorance, mépris de classe, accusations gratuites et assertions caricaturales. Réactions.
Dans une passable approche de captatio benevolentiae, nos 100 reconnaissent l’impact positif des suites de l’affaire Weinstein et du #metoo. Mais très vite-fait. D’abord si ces meufs réclament la liberté de se faire emmerder par des hommes dans l’espace public, donc baptisée pour l’occasion « liberté d’importuner », sincèrement, nul besoin de faire une tribune. La secousse planétaire #metoo n’a vraisemblablement pas entamé une réalité radicale, celle que connaissent les femmes lambda, c’est-à-dire en gros, pas celles qui sont signataires de ce texte.
B. Guay – AFP
Un peu d’honnêteté intellectuelle eût été souhaitable de la part de ces femmes lettrées, un peu de recherche peut-être aussi… La pensée par le « on-dit » est une entourloupe. La tribune indique en effet : « on nous intime de parler comme il faut, de taire ce qui fâche, et celles qui refusent de se plier à de telles injonctions sont regardées comme des traîtresses, des complices ! ». Mais qui est ce « on » ? Ta mauvaise conscience ? Où sont les injonctions ? De qui ? De quoi ? Là tout de même il y a un problème d’appréciation du #metoo en tant qu’espace discursif virtuel, dont les manifestations ont été spontanées. Rappelons, encore une fois, que « balance ton porc », c’est métaphorique. Balancer c’est de l’argot de caïds, la balance, la poucave, c’est dans l’argot des malfrats, des voleurs, des voyous, celui qui trahit la bande : la balance met au jour un ordre vicié. Il ne s’agit pas de désigner tous les hommes comme des porcs. Et le porc… Le porc c’est du lourd en termes de symbolique depuis Circé, c’est une métaphore de l’esclavage tout de même. Le porc, ça ne veut pas dire que tous les hommes sont des porcs. Ou entièrement. Tu aimes bouffer des escargots ? Oui, OK, mais tu bouffes pas la coquille quand même? Bon bref.
Alors parlons peu, parlons bien, combien de mecs ont été « sanctionnés dans l’exercice de leur métier, contraints à la démission » ? Pour de vrai c’est très intéressant. Et nous pourrions sérieusement deviser sur les femmes victimes de harcèlement sexuel dans leur milieu professionnel. Juste pour contraster.
Et sur le « révisionnisme » dont parle la tribune, en matière de politique culturelle, nous n’en sommes qu’aux balbutiements. Des balbutiements réjouissants parce qu’ils posent question, ils font réfléchir autrement. Jean-Claude Brisseau a été condamné en 2005 à un an de prison avec sursis pour harcèlement sexuel sur deux actrices et condamné en 2006 en cour d’appel pour agression sexuelle sur une troisième actrice. Des collectifs féministes ont réclamé et obtenu l’annulation de la rétrospective le concernant à la Cinémathèque. La cinémathèque est un organisme privé financé par l’Etat et des mécènes. Il ne semble pas aberrant, dans ce cas, que le choix de visibilisation d’un tel personnage soit remis en question. Il ne s’agit pas de faire disparaître l’œuvre du bonhomme, il s’agit bien de questionner le geste institutionnel de l’hommage dans la société ici et maintenant.
B.Guay- AFP
L’axe principal de la tribune tout de même, c’est la défense « d’une liberté d’importuner, indispensable à la liberté sexuelle ». Et là, j’avoue, les mots manquent un peu car le lien logique ne cesse d’échapper. Ou alors : ces dames ne parlent pas de la liberté sexuelle en général, mais bien de celle des gens qui « importunent », et pour lesquels du coup elles ne conçoivent pas l’une sans l’autre. Je pourrais m’attarder sur chacune des signataires. Ce serait un peu long. J’en choisis une. Au pif Catherine Deneuve.
Une icône de ma jeunesse. Elle restera ma Belle de jour. Elle restera ce que Buñuel en a fait. La bourgeoise aux prises, emprisonnée, l’objet ultime du fantasme masculin hétéro-normé que le maître B., las des injonctions catho étriquées de son enfance tentait de déconstruire. Côté face, Belle de jour fuit l’ennui de son couple où son époux l’invite à aller se coucher tout le temps parce qu’elle est fatiguée dans une débauche fétichiste et sadique aux mains du même patriarcat, c’est le côté pile. Dans le film de Buñuel, l’époux trinque. Le film date un peu, force est de constater qu’il n’en reste rien pour l’actrice signataire.
Ces femmes réclament le droit d’être des objets sexuels aux mains des hommes. Oui moi je réclame le droit de mourir un jour parce que l’immortalité c’est surfait. Allez.
Illustration : Emma
A travers cette tribune, il est très difficile de savoir pourquoi toutes ces femmes luttent exactement. Mais qu’elles se rassurent, nous militantes féministes, hétéros, gouines et trans, chérissons notre liberté sexuelle, la jouissance de notre corps, on aime le cul, on aime notre cul, on aime désirer et se faire désirer, dans l’espace merveilleux qui s’appelle le consentement. Et ce n’est pas très compliqué le consentement, non, il n’y a pas besoin d’une application en fait. Nous luttons pour que les femmes puissent vivre comme elles l’entendent, avec les mêmes libertés que les autres, c’est-à-dire les hommes. Nous luttons pour que nos sœurs arrêtent de se faire violer ou emmerder juste parce qu’elles sont des femmes, nous luttons pour que nos filles, nos enfants puissent évoluer tranquillement dans l’espace public et privé. Nous luttons pour expliciter ce qu’est la culture du viol, le terreau des agressions sexuelles. Et nous luttons avec les hommes qui veulent bien nous entendre. Et ils sont très nombreux, ce sont nos pères, nos frères, ce sont nos potes et on les aime.