The Bisexual, la série britannique de Channel 4 lancée en octobre dernier, n’est pas une série sur la bisexualité ni sur l’exploration de la sexualité. The Bisexual est un questionnement de la norme, de notre manière d’être au monde, notre rapport à la fiction patriarcale. La réalisatrice Desiree Akhavan y livre ses peurs, ses questions et la possibilité d’être soi en dépit du règne de l’identique.
Associées et en couple depuis 10 ans, Leila (Desiree Akhavan) décide de rompre avec Sadie (Maxine Peake) après sa demande en mariage. Elle loue alors une chambre chez Gabe, un romancier névrosé, blanc, hétéro. Lesbienne convaincante, un soir post-rupture, elle éprouve du désir pour un mec. Dès les premières minutes, le ton est donné : drôle, résolument féministe et critique envers toutes les normes. Tout le monde en prend pour son grade, c’est rafraîchissant, sans complaisance et ça fait du bien ! Leila à Deniz sa pote au sujet de Gabe : « Tu sais s’il n’était pas blanc et hétéro, tu serais impressionnée. S’il n’était pas blanc et hétéro, il n’aurait pas écrit un livre intitulé Testicular ». Ou encore la scène de la boite lesbienne où Leila ramène Gabe qui leur demande ce qu’elles pensent de la vie d’Adèle. En réponse, leur visage digne des films expressionnistes allemand est d’une justesse orgiaque.
Desiree Akhavan réalisatrice de Appropriate Behavior (2014) et The miseducation of Cameron Post (2018) n’a de cesse de questionner la norme et la manière dont elle nous imprègne. Avec cette série qu’elle a co-écrite et réalisée, elle interprète Leila, une Irano-américaine, lesbienne, ancrée dans une vie stable, en apparence toute tracée. Les médias présentent The Bisexual, comme la crise de la trentaine d’une lesbienne qui décide d’explorer sa sexualité avec des hommes et des femmes.
Leila n’a pas refusé de se marier parce qu’elle avait envie de faire du tourisme sexuel, mais parce que la demande en mariage de Sadie induit quelque chose de définitif et la questionne. Elle le dit très clairement à Gabe : « il y a quelque chose de terrifiant du fait qu’elle soit si sûre». La réaction de Leila est sincère et en adéquation avec ses pensées et émotions. C’est ce qui dérange, elle la première : « La bisexualité est un mythe. Elle a été créé par la pub pour vendre de la vodka aromatisée ». Appartenir à une catégorie est de fait limitant.
Dans Go Fish (1994) de Rose Troche, il était déjà question de l’identité lesbienne. Lorsque Daria la tombeuse couche avec un mec, elle est confrontée à un tribunal lesbien. Celle qui a couché avec plus de filles que toutes ses amies réunies est un danger parce qu’elle ne correspond plus à une définition exclusive. La vie est en perpétuel mouvement. Pourquoi être définitif.ve dans nos désirs? Sortir de la norme est-il suffisant pour s’en affranchir ? Avoir des relations romantiques et sexuelles implique-t-il une route immuable à sens unique ? Est-ce que les termes : hétéro-bi-homo ne réduisent-ils pas le vécu, l’intimité et les sentiments, à une catégorie sans nuances ni profondeur? La fiction patriarcale est-elle capable de ne pas tout sexualiser ?
Le monde de Leila est une fiction lesbienne dans une fiction patriarcale. Avec ses codes, ses normes et ses mythes. Rien n’est simple pour Leila lorsqu’elle s’aventure hors du monde lesbien : ni son rapport avec les hommes, ni la séduction et encore moins les conventions sociales. La communication est différente, l’humour aussi et, la confrontation des deux mondes est un parcours philosophique montrant les limites de la théorie et la difficulté d’être soi, peu importe la fiction. Comment savoir ce que l’on désire? Ce qui nous appartient et ce qui ne nous appartient pas ? C’est comme pour ses aisselles qu’elle n’a pas rasé depuis ses 14 ans : lorsqu’elle demande à Gabe ce qu’il en pense, il lui dit «C’est ce qu’aiment les femmes». Et Leila répond : «Ça ne devrait pas être à propos de ce que les femmes aiment, non ? Ça devrait être à propos de ce que moi j’aime». Gabe : «Qu’est-ce que tu aimes ? »Elle répond : «Je n’en ai aucune idée». Et c’est de cela dont il est question : la manière dont tout est catégorisé dans notre vie, dont nous nous définissons par rapport aux autres et à une norme qu’elle soit minorisée ou non. Mais quand sommes- nous réellement nous-mêmes ? La sexualité est-elle un instrument de contrôle de notre intimité ?
Le terme hétérosexuel est apparu après la formation du mot homosexuel, créé par Karl-Maria Kertbeny en 1868. Schopenhauer a été le premier philosophe à s’intéresser à la sexualité. Pour lui, ce qui unit deux êtres, c’est le désir inconscient de se reproduire. D’un côté il y a la sexualité réduite à la reproduction et de l’autre la sexualité comme catégorie de pratiques et préférences. D’autres théories ont émergé depuis, cependant, arrive-t-on pour autant à repenser la sexualité en dehors des normes ? Lorsqu’elle est subversive c’est en fonction d’une norme majoritaire et en réaction à celle-ci. Alors, quand devient-elle autre chose qu’une modalité discursive contestataire? Comment la sexualité peut être source d’émancipation hors de la binarité oppositionnelle ?
The Bisexual, ne prône pas de modèle et met en évidence que personne ne correspond à l’idée que l’on s’en fait. Akhavan ne place pas le sexe au centre de tout et n’en dresse pas un portrait aguicheur. Le sexe est source de confusion pour tous les personnages et il n’est pas question de le rendre hype. Leila : « Le sexe est compliqué. Parce que tu fais une stratégie pour y arriver, et après tu l’anticipes, et après quand finalement ça arrive, ne souhaites-tu pas juste faire avance rapide, à cause de toute la pression que tu as pour jouir, et tu préférerais la lécher plutôt que de t’inquiéter de ton propre orgasme ? » C’est ce qui est touchant. Le plaisir féminin est tout aussi inconnu que l’univers et le traiter ainsi est décomplexant. Adieu l’injonction de la performance. Le sexe est avant tout intimité, ce qui nous lie aux autres et à nous. La sexualité féminine d’Akhavan est multidimensionnelle :« En général, les scènes de sexe à la télévision ne disent qu’une chose : ces gens sont en train d’avoir des relations sexuelles. Mais c’est tellement plus que ça : on peut y déceler la fin d’une relation, des émotions différentes… Il n’y a pas que des fluides qui sont échangés. Il y a une énergie et de la communication dans le sexe. Je ne vois quasiment jamais ça sur un écran. Ça m’intéresse beaucoup. (…) Je pense que les gens sont allergiques au plaisir féminin. Demander du plaisir selon ses propres termes, ne pas s’en excuser et le rechercher, ça a tendance à être pris de la mauvaise façon par le public. Je veux examiner pourquoi. » (ITW Konbini, octobre 2018).
L’après #MeToo, c’est maintenant. Nos paroles et vécus écrivent nos fictions et changent le réel. Une saison 2 est annoncée.