C’est suite à une question posée au service CheckNews de Libération, et au billet publié par celui-ci, que la Ligue du LOL s’est fait connaître du grand public.
La ligue du LOL, c’est un groupe Facebook crée par Vincent Glad (journaliste à Libération) et presque exclusivement masculin, composé de journalistes de rédactions parisiennes ou agence de com’ très suivi sur twitter (la liste des membres est ici), déjà puissants ou en devenir. Bref des mecs avec une certaine notoriété et/ou influence et qui s’en servaient pour harceler (physiquement ou virtuellement) des femmes, à coup de slutshaming, de racisme, d’homophobie, de grossophobie, de putophobie et j’en passe, et qui allaient aux soirées presse pour intimider les jeunes journalistes.
Entre temps, l’heure du mouvement #metoo et de la libération de la parole a sonné. Ainsi, bien installés au sein des grandes rédactions parisiennes, les harceleurs se sont refait une beauté de mecs féministes. Ceux qui avaient été les premiers à censurer la parole et intimider les femmes se retrouvent à écrire des billets sur les dérives du masculinisme. Même constat du coté de Martin Weill et Hugo Clément accusés de harcèlement par Nassira El Moaddem.
Depuis quelques jours la déferlante de témoignages et d’anciens tweets resurgissent sur le Net, nous laissant à peine imaginer l’étendue des dégâts.
Puisque Libération a choisi de donner la parole aux harceleurs, ici c’est aux témoignages des victimes de la ligue du LOL que nous donnons une voix, en voici quelques-uns :
Mélanie Wanga et une interview AJ+ lui étant consacrée
Florence Porcel et ici sur France Info
Face à cette soudaine médiatisation, certains membres de la ligue du LOL ont commencé sur leur compte Twitter ou Facebook à essayer de présenter des excuses.
En tête de celle-ci et pour vous éviter les répétitions, nous avons fait une compilation :
– « j’étais jeune et con », pour des Twittos de 25/30 ans on serait tenté.es demander la déchéance de majorité et de les mettre sous tutelle indéfiniment.
– « je ne me suis pas rendu compte », là encore il semblerait que lorsque l’on est un petit macho, le lien entre les menaces de viol/ harcèlement/intimidation et mauvaises actions ne soit pas forcément logique.
– « c’est la faute des femmes ». Celui-ci est sans doute encore plus universel que les autres, repris à chaque attentat masculiniste, par les violeurs, les incels et les membres de la Ligue du LOL. Comme lorsque Alexandre Hervaud répond que si la Ligue était aussi obnubilée par les féministes c’était parce qu’à l’époque ils étaient « cons », mais surtout et avant tout parce qu’elles étaient « connes ». Traduction : elles l’ont bien cherché.
Si leurs excuses laissent pantoises, c’était sans compter l’interception et censure par la ligue en 2010, d’une lettre rédigée par plusieurs femmes et à destination des rédactions parisiennes où ils étaient journalistes, afin de dénoncer ce harcèlement subi.
Le harcèlement de masse : le mal du XXIe siècle
Dans l’une de ses études, le sociologue Michael Kimmel avait remarqué que si la société poussait les femmes à plaire aux hommes, elle poussait les hommes à chercher une validation auprès de leurs pairs. C’est quelque chose que l’on observe facilement en société et notamment sur les réseaux sociaux, l’effet de groupe est bien plus fort sur les hommes que sur les femmes. Et le nombre ou de groupes de harceleurs et masculinistes tels que le forum « blabla 18-25 », le site jeuxvideos ou la Ligue du LOL en est la preuve.
Depuis quelques années le cyberharcèlement est devenu le quotidien des femmes qui osent parler, s’engager, mais pas seulement. Il suffit souvent d’être simplement une femme, homosexuel.le, racisé.e, gros.se … pour s’attirer les foudres des petits machos : être étudiante à Saint-Cyr, demander que les poches sur les jeans féminins soient plus grandes, poster une photo avec quelques poils, proposer des billets de banque à l’effigie de Jane Austen, ou faire des vidéos YouTube sur le féminisme… Face à la croissance du cyberharcèlement , le collectif « les féministes contre le cyberharcèlement » a été créé en 2016, afin de soutenir les victimes, mais aussi de sensibiliser et d’alerter sur le sujet.
Le harcèlement au travail est aussi devenu monnaie courante. L’affaire Baupin en est un exemple, mais aussi l’affaire des Slack (groupe professionnel pour communiquer entre collègues) des rédactions de Vice et du Huffington Post. Des salariés de ces deux rédactions avaient créé des groupes slack afin de se moquer des salariées femmes, mais aussi divulguer toutes informations intimes les concernant.
Autopsie d’un oppresseur
Le mépris de classe, fait dire à certains que le cyberharcèlement tout comme le harcèlement de rue sont une question d’éducation, une question de classe, bref une question de pauvreté. Pourtant de DSK à Baupin, de Marsault à la Ligue du LOL, le constat montre bien l’inverse. Être un oppresseur est une question de privilèges, et les hommes cis, riches ou pauvres, sont de par leur genre, des plus privilégiés dans notre société patriarcale. L’ironie de l’histoire est qu’il n’y a pas plus susceptible que les machos d’internet. La récente pub Gilette et le torrent de critiques et d’indignation d’hommes touché dans leur « virilité » en est un exemple flagrant.
Les hommes restent entre eux, de la cour de récré au cabinet ministériel. Cela à un nom c’est l’homosociabilité. D’où l’existence de ce que les Anglo-Saxons appellent les « boys’ club », ces clubs ont toujours existé et se basent sur la non-mixité masculine. Club de cigares à l’époque ou groupe Facebook et Slack aujourd’hui. Les noms ont changé, mais les procédés sont restés les mêmes : se replier entre soi et faire valoir son statut d’individu à la tête de la chaîne patriarcale, et pour cela se différencier des autres notamment.
C’est ainsi que le pouvoir patriarcal s’est construit, via l’oppression institutionnelle et systématique des femmes, des homosexuel.les, des personnes trans, des personnes racisées etc., le harcèlement de ces mêmes personnes est donc la continuité logique de l’idéologie masculiniste.
Harceler des personnes qui devraient se trouver en bas de l’échelle patriarcale, mais qui osent sortir de l’invisibilité où on les a sciemment plongées c’est leur rappeler leur place. C’est leur rappeler que la place des « maillons faibles » c’est de s’occuper des « maillons forts ». Pour ces maillons forts, les femmes devraient avoir le même rôle que la plupart des personnages féminins dans les films/séries mainstream, c’est à dire mettre en valeur le héros ou parler des autres personnages masculins, mais certainement pas avoir des idées à elles.
L’humour au service de harcèlement ou l’inverse
Quand les harceleurs se défendent d’un quelconque acte de harcèlement, c’est souvent à l’humour au second degré qu’ils font appel. Là encore c’est logique puisque le harcèlement et l’humour oppressif ont exactement le même but.
Lorsque vous êtes une femme (ndlr : cette catégorie qui se fait violer toutes les 7 minutes dans le monde) et qu’en arrivant en soirée en jupe, le petit groupe de mec cis, ayant pris d’assaut le canapé en se faisant servir ses bières, vous dit sur le ton de la rigolade qu’avec une telle tenue faudra pas crier au viol, en s’esclaffant entre eux de la brillante blague dite déjà un milliard de fois. Ce qu’ils font en réalité, c’est vous rappeler sous couvert d’humour « un peu » beauf à votre statut de femme, c’est-à-dire et dans ce cas votre potentialité à vous faire violer et donc à être assujettie au pouvoir toxique des hommes. Parce que, vous qui vivez le sexisme à longueur de journée il ne faudrait pas que vous l’oubliez et profitiez de la soirée. Souvent d’ailleurs, ces petits rigolos vous les connaissez plus ou moins, et c’est parce qu’ils savent que ça vous énerve qu’ils s’y donnent à cœur joie.
D’ailleurs, la Société Internationale Des Etudes Sur l’Humour a prouvé que l’humour oppressif (sexiste, raciste, homophobe, antisémite, grossophobe etc.) favorise la discrimination envers les groupes moqués. Dans un billet pour Libération, Océan se demandait où s’arrêtait l’humour pour laisser place à l’incitation à la haine.
Vers quoi mène le harcèlement ?
La ligue du LOL, mais aussi l’affaire des groupes Slack chez Vice et le Huffington Post ou encore l’affaire Baupin, illustrent bien comment le harcèlement subi par les victimes a aussi eu un impact sur leurs carrières. Dans les cas cités il y a eu de la part des harceleurs une volonté de fermer les lieux de pouvoirs (rédactions, agence de com’, parti politique) aux femmes ou dans le cas où elles y étaient déjà de ne pas les laisser s’élever dans la hiérarchie. A contrario, les harceleurs sont eux devenus journalistes ou Rédac Chef (comme Christophe Carron pour Slate ou David Doucet pour Les Inrock). C’est le but ultime des « boys’ club » l’entraide masculine afin de s’élever économiquement et socialement en groupe au dépens des dominées.
Après le harcèlement et les menaces de viols viennent les féminicides. Depuis 2017, Titou Lecoq a fait le compte des femmes mortes en France sous les coups de leurs conjoints : plus de 200 femmes ont ainsi été assassinées dans l’indifférence la plus totale quant aux raisons sexistes motivant leurs meurtres.
Les derniers attentats masculinistes perpétrés en occident montrent d’ailleurs assez clairement qu’ils sont dans la continuité de la logique du harcèlement. D’après les Incels si les femmes méritent la mort c’est parce qu’elles ont refusé de coucher avec eux. Parce que dans une société patriarcale, la vie des femmes n’a de valeur que lorsqu’elle est liée à celle des hommes. C’est quelque chose que l’on vérifie très facilement dans un bar ou dans la rue. Le fait de ne pas être accompagnée d’un homme est une ouverture claire à la violence sexiste, tandis qu’à l’inverse en présence d’un homme les échanges se font tout de suite plus courtois, comme d’un coup de baguette magique, vous aviez pris de la valeur socialement.
Bref, les agissements des harceleurs ne sont pas le fait d’erreurs de jeunesse ni de mauvais jugements. Elles sont le fait d’un mécanisme (qu’il soit conscient ou non) bien rodé des dominants, afin de maintenir les dominé.es dans le statut social et économique qui leur a été attribué, c’est-à-dire en-dessous.
Depuis, certains journalistes ont été mis à pied provisoirement. Un début.