Décerné il y a une semaine, le Grammy de la meilleure chanson rock de l’année vient couronner 5 ans d’exposition médiatique mainstream pour St Vincent. Entre la une des tabloids pour ses relations amoureuses avec des stars étasuniennes, les couvertures des magazines de rock et son intronisation dans le marbre des institutions musicales, qui est St Vincent ? (Badasserie en vue…)
Née en 1982 à Tulsa (Oklahoma), Annie Clark commence la guitare avec un exemplaire en plastique du Target du coin, avant de partir sur les routes avec Tonton & Tatie, le célèbre duo de jazz Tuck & Patti. Elle fréquente ensuite les pupitres de la prestigieuse Berklee College of Music, l’école de jazz et de musique contemporaine la plus prisée au monde, et de laquelle sont sorties nombre de légendes du jazz. Sans façons : son enseignement spartiate et sans doute excessivement académique lui fait prendre la tangente au bout de 3 ans, arguant que ce n’est pas là qu’elle apprendra à composer sa propre musique.
La suite est une histoire de rencontres, de travail, de va-et-vient entre New York et Dallas, qui l’amènent à faire la roadie pour d’autres artistes puis sortir son premier disque, « Marry Me » (oui, je le veux), en 2007, sous le nom de St Vincent. On y trouve l’embryon du style de celle qui a choisi l’hôpital où est mort le poète Dylan Thomas comme nom de scène : un mélange étrange de rythmiques jazz, de sons aux textures improbables mais toujours justes, de mélodies pop et de riffs de guitare ultra inventifs.
« Marry Me » est le début de la gloire : album primé, il lui permet de signer chez 4AD, le célèbre label indé à la pointe de la musique « alternative » dès les années 1980 (qui a notamment produit The Breeders, Tindersticks, et aujourd’hui la fantômatique Aldous Harding). Annie Clark sort « Actor » en 2009, inspiré par les films de Disney et leur violence larvée, puis « Strange Mercy » en 2011. Ces deux disques sont l’occasion pour elle de parfaire l’utilisation de sa voix, de semer çà et là quelques ballades glaçantes et de tendre vers sa désormais marque de fabrique : une impression générale très robotique, sur scène comme sur disque, qui cache mal un flot dément d’émotions paroxystiques et de critiques politiques.
Après un disque bizarroïde co-écrit avec David Byrne des Talking Heads, « Love This Giant » (2012), St Vincent sort son disque éponyme, emmené par deux singles foutraques : « Digital Witness » et sa dénonciation absurde de l’abus d’écrans, et « Birth in Reverse », constatation désabusée et cynique de sa position d’entertainer dans des Etats-Unis ignorant leur violence sous leur banalité. « St Vincent » (2015) est une signature magistrale, de celle qui semble au sommet de son art, sur son trône, cheveux dressés, fausse sanctification sur l’autel d’arrangements à la limite de l’inaudible. De plus en plus sexuel.
Elle remporte son premier Grammy dans la catégorie « Best Alternative Music Album », et finit par être emportée dans ce qu’elle moquait depuis sa position de presque outsider. Ses relations amoureuses avec Cara Delevigne, puis, plus fugace, avec Kristen Stewart, la propulsent à la une des tabloids, des magazines « féminins » des deux côtés de l’Atlantique, sur les tapis rouges, jusqu’à l’épuisement. NB : elle ne se dit pas lesbienne mais « fully engaged in the sexuality spectrum » : fluidité de genre et de sexualité. Les fans de la première heure (attachés à l’étiquette inconsistante de « musique alternative », dont je suis) s’inquiètent : va-t-elle se corrompre, sombrer dans la facilité, abandonner le double tranchant de sa musique en forme de demi-sourire figé ?
Annie s’en moque et se fout bien du snobisme de ses fans : en 2017, elle sort « Masseduction », album surproduit, aux arrangements r’n’b obscènes, aux textes dégoulinants d’érotisme, de promenades au bord de la maladie mentale, d’histoires d’amour urbaines autour desquelles tout le monde (me first) pourra spéculer joyeusement sur leur rapport avec Cara ou Kristen. Il y a de tout pour tout le monde, et surtout, une immense ambiguïté (star-system ou pas star-system ?) sur laquelle St Vincent gambade de late night show en late night show. Le disque a un immense succès critique et commercial, tout le monde en parle, même ceux dont St Vincent se moque élégamment. Elle sort sa version acoustique, « MassEducation », qui enfonce le clou politique dans la cuisse du show business, jusqu’à la dernière soirée des Grammys où elle eye fuck outrageusement Dua Lipa sur un mash up « Masseduction / One kiss ».
La suite sera très lesbo-féministe, et surtout riot grrrl : St Vincent a annoncé produire le prochain album de Sleater-Kinney, prévu pour cette année.
Playlist :
« Jesus saves, I spend »
« Your lips are red »
« Actor out of work »
« Marrow »
« Cruel »
« Strange Mercy »
« Who » (avec David Byrne)
« Birth in reverse »
« Prince Johnny »
« Pills »
« Masseduction »
Chloé
– S’indigne en musique. Fanatique de rock, de folk, de folk-rock, de post-machin et d’indie-truc. Ecrit aussi pour Sourdoreille et Hardies. Twitter : @ChiloeChloe