Il y a quelques jours, Pierre Palmade faisait la distinction entre gay et homo lors de l’émission « on n’est pas couché». Comme s’il y avait d’un côté l’exubérance revendicative et de l’autre l’invisibilisation discrète. Le fait qu’il soit concerné ne l’exempt pas d’homophobie intériorisée. Certain.e.s disent qu’il n’y a aucune différence, il s’agit majoritairement de mecs cis. Mais assez parlé d’hommes cis. Qu’en est-il des gouines et lesbiennes ? Que se cache-t-il derrière ces termes ? Et qu’est-ce que cela induit profondément ?
J’ai grandi dans la terreur d’être une gouine avant de savoir ce qu’était une lesbienne tout en ayant aucun doute du caractère péjoratif des deux. Il m’a fallu des années pour ne pas avoir honte d’être moi et ne pas passer à côté de ma vie. Alors, quand Palmade raille les gay en disant : « Les gays ce sont des gens qui mangent gay, qui vivent gay, qui rient gay, qui parlent gay, qui font des films gay» la colère m’envahit. Avec hétéro, ça donne quoi ? : les hétéros ce sont des gens qui mangent hétéro, qui vivent hétéro, qui rient hétéro, qui parlent hétéro, qui font des films hétéro». Heteroland est une réalité, impossible d’y échapper. Comme c’est la norme ça passe crème. Chacun.e vit son orientation comme bon lui semble et, pour des tas de raisons nous ne réagissons pas tou.te.s de la même manière et il n’y a aucun problème avec cela. Ce qui me dérange le plus est cette manière très patriarcale de ne pas vouloir entendre que de tels propos puissent blesser, l’incapacité de se remettre en question et faire du mansplaining a tire larigot.
Du haut de sa situation privilégiée de mec blanc cis bourgeois, il use de sexisme ( «hystériques», «calmez vous») avec le naturel déconcertant des dominants. Etre homo ne dispense pas d’être homophobe. Tout comme être une femme ne dispense pas du sexiste.
Ce que l’hétérosexisme m’a fait, c’est nier mon être profond en déversant des désirs, des sentiments, des comportements, des projets, etc. qui n’étaient pas les miens. C’est me plonger dans la peur d’être différente, d’accepter sans cesse ce qui ne me convenait pas et de jouer un rôle profondément absurde. Nous vivons en terre hétéronormée, patriarcale, capitaliste et raciste. En général c’est le combo gagnant. La manière dont nous intériorisons les normes et dont elles nous affectent est une violence en soi. Tu peux passer ta vie à suivre les normes à la lettre, à faire tout comme il faut, ce ne sera jamais suffisant ou assez bien. Les normes ne sont pas faites pour rendre heureux.ses mais pour contrôler et asservir. Et même les plus privilégié.e.s ne sont pas heureux.ses parce que ce système est incompatible avec le bonheur.
Gouine vs Lesbienne
Gouine est un terme péjoratif à l’étymologie incertaine. Dans l’antiquité, il est associé aux femmes dépravées et prostituées (du latin ganea : lupanar, maison close). Au XVIIe siècle, il désigne toujours une femme de mauvaise vie du mot normand gouain ( salaud, provenant peut être de l’hébreu goyim : non juif). Jusqu’au XIXe siècle, les rapports sexuels entre femmes étaient seulement considérés dans le cadre de la prostitution et ce n’est qu’en 1867 que le mot lesbienne émerge avec la découverte de Sappho et de son oeuvre. Le XIXe siècle est ce fameux moment où le terme homosexuel est apparu, créé par Karl-Maria Kertbeny entre 1868 et 1869 parce qu’un de ses potes homo s’est suicidé. Il est intéressant de souligner que le terme hétérosexuel (normal sexuel à l’origine) n’est apparu qu’après la formation du mot homosexuel. Le XIXe siècle étant également l’essor de l’industrialisation et du capitalisme, l’hétérosexualité garantit le renouvellement de la main d’oeuvre.
Le terme homosexuel, trop médical et patriarcal, réduit tout à la sexualité de manière binaire. Au-delà de cela, l’absence de sens politique est problématique d’autant plus qu’il s’agit d’un terme défini par une personne hétérosexuelle. Le féminisme a pour directive première de s’autodéfinir entre concerné.e.s.
Consultable aux archives lesbiennes de la MDF, Paris XII
Sans le féminisme, les luttes LGBTQI et la pensée queer ne seraient rien. Au sein du MLF, les lesbiennes ont subi l’hétérosexisme des hétéras, l’invisibilisation et le rejet. Lorsqu’elles ont rejoint le FHAR ( front homosexuel d’action révolutionnaire) constitué d’activistes gays d’Arcadie, elles ont a nouveaux été silenciées parce que le sexisme était présent. C’est cela qui a conduit à la création des gouines rouges qui posent pour la première fois des revendications lesbiennes politiques lors des « journées de dénonciations des crimes contre les femmes » à la mutualité les 12 et 13 juin 1972. Les lesbiennes du MLF prennent la scène , visibilisent leur existence.
Discours de Marie-Jo Bonnet à la mutualité, extrait de Mon MLF, éditions Albin Michel
D’autres groupes lesbiens radicaux existeront par la suite, car il s’agit toujours de radicalité lorsqu’on parle de lesbiennes. Etre radical, étymologiquement c’est s’attaquer à la racine de quelque chose, c’est avoir un esprit critique et être en accord avec ses pensées et actions. Forcément cela effraye, car tout dans la société depuis notre plus jeune âge nous oblige à faire le contraire.
Gouine est aussi un terme positif, politique et libérateur, utilisé entre concerné.e.s qui revalorisent son usage en lui donnant une dimension plus profonde, radicale et subversive.
Le mot Lesbienne dérivé de l’île grecque Lesbos terre natale de Sappho, est pour moi un fantasme romantico-héterosexiste. Qui était Sappho ? La plupart de ses écrits ont été brûlé en 1073. Tantôt femme dépravée, musicienne, poétesse ou encore enseignant aux jeunes filles, elle dérange. Issue de l’aristocratie, quelques fragments de poèmes révèlent qu’elle critiquait sa classe. Sappho était bien plus que cette femme de lettres libre. Elle remettait en cause le système tout entier. Lors de sa redécouverte au XIXe siècle, on l’a pinkwashisée.
C’est pourquoi j’ai tendance à rattacher lesbienne à la littérature et au fantasme masculin d’objectivation sexuelle. Tapez sur google lesbienne et le contenu est purement porno-hétérosexiste. Les femmes sont hyper genrées et faites pour exciter les mâles. Quant aux pratiques sexuelles soit elles ne sont que préliminaires jusqu’à la venue du sacro saint phallus, soit c’est du Kechiche.
À la fin du XIXe siècle, «lesbienne» est associé à la démence, comme à peu près tout ce qui touche à la sexualité féminine d’ailleurs. Havelock Ellis, marié à une lesbienne féministe, impuissant jusqu’à ses 60 ans, a considérablement influencé les études scientifiques sur la sexualité féminine.
Il y a également le fantasme subversif du lesbianisme politique, cette récupération des féministes hétéras rongées par la culpabilité et la peur d’exister pleinement en dehors des hommes et qui souhaite vivre une hétérosexualité équilibrée. Cette tendance à aménager le système plutôt que de le réinventer, à piocher le moins monstrueux des théories queer et à coucher avec des meufs par simple rejet des mecs cis hétéros.
L’hétérosexualité est un régime politique
Lorsque Wittig parle de l’hétérosexualité comme d’un régime politique, La pensée Straight,1979, c’est révolutionnaire. Avec les concepts du féminisme matérialiste et radical de «classes des sexes», Wittig démontre que l’hétérosexualité conditionne les rapports entre les individu.e.s dans toutes les sphères de la société. Il y a ainsi un destin hétérosexuel : injonction à une sexualité génitale, procréation et vie maritale. Loin d’être naturel c’est un véritable système politique autoritaire et violent. Est-ce un hasard si la culture industrielle en a fait une obsession ? Qu’est-ce que la procréation imposée et normée sinon une injonction à perpétrer l’espèce en fournissant de nouvelles forces vives ? Le capitalisme peut il se passer de l’hétérosexualité ?
Dans l’Antiquité, l’homosexualité est très patriarcale et misogyne. La sur-représentation des corps masculins, la glorification de la virilité toxique et l’érotisation de l’homosexualité bien que tolérée est très codée. Même Platon qui prend plaisir avec des éphèbes condamne fermement l’homosexualité. N’est-ce pas au fond seulement l’expression de la sexualité patriarcale faite de domination et reléguant l’autre à un objet ? Puisque cela répond à une pulsion sexuelle masculine c’est toléré. Au Moyen-Âge, on passe de l’indifférence à la répression violente. Il y a par la suite, une sorte de tolérance associée à la classe et au pouvoir que cela représente. Une sorte de fantaisie sexuelle masculine. Les femmes, elles, sont toujours inexistantes.
Au XIXe siècle, l’industrialisation et l’essor du capitalisme nécessitent d’asseoir l’hétérosexualité en régime politique. Le XXe siècle permet l’émergence des droits et des luttes garantissant une sécurité nécessaire.
Où en sommes-nous aujourd’hui ? Il est évident que le SIDA a changé considérablement les luttes LGBTQI. Il était alors vital d’avoir des droits et ce n’est qu’à partir du moment où les hétérosexuel.le.s ont été touché que des mesures et recherches ont vu le jour. Mais alors que dans les années 70 le système bourgeois hétéro patriarcal était critiqué remettant en cause le mariage, la monogamie, avoir des enfants, etc. qu’en est-il aujourd’hui ? Sommes-nous encore capables d’inventer de nouveaux schémas ? Qu’est ce qui nous appartient et qu’est ce qui ne nous appartient pas ? Les subcultures sont-elles exemptent de normes ou sont-elles de simples réaction à celles-ci ? Remettons nous réellement en cause la binarité en adoptant une attitude contraire ?
Marche des Fiertés 2017, Paris, D.M.
Les mots ont un sens et la manière dont ils sont employés, qui les prononce, le lieu et le contexte enlèvent toute neutralité. Lorsqu’un seul type de discours est relayé, mis en avant, c’est un véritable problème. Ce n’est plus l’intime et le vrai mais la norme qui parle et, tout ce qui tend à uniformiser tue nos différences et richesses. Il n’y a pas de mal à dire lesbienne ou gouine. Et selon à qui l’on s’adresse on n’emploie pas forcément le même terme. Peu importe le mot utilisé entre concerné.e l’important est d’être en accord avec soi-même, de faire ce que l’on souhaite et qui nous rend heureux.se. Se libérer des normes n’est pas qu’une affaire d’orientation sexuelle mais, une nécessité politique. Parce que tout est politique.