Elle s’appelle ڭليثر Glitter ٥٥ et à seulement 25 ans, cette DJ native de Rabat, arrivée en France il y a 9 ans, est passée par les festivals Transmusicales, We Love Green ou encore Le Bon Air, a déjà connu la Boiler Room et s’est vue confier les platines des meilleurs clubs Français et étrangers. Résidente chez Rinse France, membre du collectif Address Hymen et organisatrice des soirées Fissa, sa carrière est aussi impressionnante que fulgurante. Elle sera à la WET ce Samedi.
Salut ڭليثر Glitter ٥٥, peux-tu nous parler de ton parcours? J’ai lu quelque part que tu as été au conservatoire?
J’ai été au Conservatoire de musique de la Gendarmerie Royale à Rabat. Je faisais du solfège, du chant et mon instrument c’était la guitare, mais ce ne sont pas mes études, j’ai arrêté à l’âge de 10 ans. Disons que c’était ma pratique en étant enfant, au lieu de faire de la danse par exemple, je faisais de la musique.
Avant d’être DJ tu étais manager d’artistes. Peux-tu nous en dire plus ?
Je suis encore manager d’artistes. J’ai commencé à Lille il y a 3 ans. J’ai fait des études en sciences sociales, industrie culturelle et créative. À l’issue de ma formation et même un peu avant, j’ai commencé à accompagner des projets musicaux et par la suite quand j’ai déménagé à Paris j’ai décidé de fusionner mon activité avec deux autres managers rencontrés en festival. On a monté une structure d’accompagnement de projets qui sont majoritairement français. On les accompagne du début à la fin, on trouve des partenaires. C’est mon activité quotidienne, à côté des DJ sets. Mon projet de DJ commence à prendre de plus en plus d’ampleur et prend de plus en plus de temps, mais c’est du 50/50 on va dire. Je ne pense pas arrêter le management, ce sont deux activités qui me plaisent énormément et ça se complète plutôt bien, ça me permet de connaître la réalité du secteur et d’être aussi de l’autre côté.
Quels sont les artistes qui t’ont influencée ? Est-ce que tu as grandi en écoutant de la musique électronique ou c’est quelque chose qui est venu sur le tard ?
J’ai grandi en écoutant forcément du classique mais surtout énormément de musique Marocaine, tout ce qui est Chaâbi, Raï et plus globalement musique orientale. Je pense à des artistes comme Rimitti ou Cheb Hasni, entre autres. Plus tard quand j’ai commencé à avoir des préférences musicales j’écoutais plutôt du Rock. Je viens vraiment de là, j’allais voir que des concerts de Rock plus jeune. J’aime beaucoup la scène Anglaise représentée par des labels tels que Sarah Records ou Fortuna Pop! Records. J’ai découvert la musique électronique adolescente, pas en club mais à travers des amis. Au Maroc à cette époque il n’y avait que des gros clubs mainstream et c’était clairement pas mon truc. À défaut d’avoir des soirées qui nous plaisent on en organisaient chez des copains où on se faisait des sessions d’écoute chez l’un et chez l’autre pour se partager de la musique via des réseaux tels que YouTube ou MSN. C’était notre petite fenêtre d’ouverture musicale et culturelle. Ça partait de là. C’est comme ça que j’ai découvert Leila Arab et Amon Tobin par exemple. J’avais pas vraiment une grosse culture en musique électronique donc ça a commencé par des choses assez connues. J’avais des amis qui écoutaient des radios étrangères, certains.es qui étaient aussi beaucoup plus âgés.es que moi voyageaient déjà un peu partout dans le monde, allaient dans des clubs et rentraient au Maroc avec des nouvelles musiques à partager avec nous. Une chose impossible à faire pour moi qui était mineure à l’époque. En arrivant en France j’ai fait mes premières sorties en club underground, mais aussi en S.M.A.C (à Lille notamment) où les programmations sont aussi bien rock qu’électro. Je suis aussi assez entêtée, dès que j’ai envie de connaître un truc je suis capable de bloquer dessus et de digger pendant des heures. C’est grâce à tout ça que j’ai développé ma culture en musique électronique.
D’où vient ton blase ? Si mes infos sont bonnes, c’est un hommage à ta passion pour les chaussettes à paillettes ?
Oui! (Rires). J’ai fait mon premier dj set pour un warm-up d’un festival que j’organisais à Lille. Il y avait un créneau de libre et on m’avait proposé de jouer, il fallait juste que je me trouve un nom pour m’annoncer, du coup je me suis creusé la tête et je me suis dit “bon ben chaussettes à paillettes j’adore ça, voilà Glitter c’est trouvé”. Je voulais aussi absolument faire un petit clin d’œil au Maroc et à ma culture, d’où le “55” (en chiffres Indos-Arabes) et le mot “Glitter” écrit en phonétique. Le 55 vient d’une expression Marocaine que ma grand-mère dit tout le temps. C’est contre le mauvais oeil.
Tes sets sont assez sombres. On trouve des sonorités orientales mêlées à de la techno parfois un peu “dark”. Il y a aussi un côté assez solennel et spirituel.Il y a aussi un côté assez solennel et spirituel. Réunir ces musiques et prendre le meilleur des deux, c’est une façon de rendre hommage à ce que tu aimes ? Te sens-tu appartenir à une double-culture ?
Double-culture, oui peut-être, de plus en plus, parce que je m’imprègne de plus en plus de la culture européenne avec le temps, mais ce qui était très important pour moi au début du projet c’était de mêler ces deux identités là. Avoir des clins d’œil de là où je viens et de ce que j’ai écouté sans forcément être dans le cliché et jouer que ça, mais choper quelques titres, quelques voix, quelques samples. Par exemple je finis toujours mes sets avec un titre de Raï ou de Chaâbi, même après avoir passé 2h de techno. C’est aussi une question de transmission, jouer ces musiques là dans des clubs c’est important pour moi. L’idée de base c’était de prendre des sonorités qui se ressemblaient et de mixer ensemble des productions qui n’ont rien à voir, le fait de les confondre c’était ça qui m’intriguait.
J’ai une approche plus politique dans mes podcasts (sets réfléchis et préparés à l’avance mis en ligne sur internet). Pour ce qui est de mes sets (enregistrés en direct lors d’un live en club ou festival), c’est plus une approche artistique. Je peux mettre des youyous ou des samples de voix sans que ça ait un quelconque rapport avec le titre de base. Pour ce qui est de mes podcasts, mes introductions sont un peu politisées. Je pense surtout à un podcast en particulier (BAEباء) dans lequel j’ai mixé 40 minutes de Trap Marocaine; l’introduction de ce set c’est un sample d’une femme qui interviewait aléatoirement des garçons à Casablanca et qui leur posait des questions sur la sexualité avant le mariage. Au Maroc, avoir des relations sexuelles avant le mariage est passible d’une peine de prison. Finalement les réponses étaient assez contradictoires avec la base et l’Histoire du pays, c’est-à-dire que tous les garçons disaient que c’était très important d’avoir une sexualité avant le mariage, autrement ils n’épouseraient pas leur fiancée. J’ai voulu confronter ce truc là à cette musique trap qui est très très masculine pour mettre en lumière un fait de société qui est très contradictoire et qui ressemble un peu aux idées politiques du pays.
Le podcast c’est vraiment une proposition qui est très personnelle. Il y a une introduction avec un fil conducteur. C’est un rassemblement de plein de titres qui m’ont touchée et qui sont pas toujours forcément jouables en club. Mes dj sets sont moins dans cette approche là, déjà parce qu’il y a un public en face et que je m’adapte en fonction de l’énergie, de l’heure, de ce qui se passe autour de moi etc.
Est-ce que la production t’attire ? Même si le fait de faire des edits et de sampler c’est déjà de la production en soi.
C’est un début de production oui. (Rires) La production m’attire de plus en plus oui, même si là j’ai encore envie de faire énormément de dj sets parce que je trouve que j’ai pas exploré tout ce que je voulais explorer mais l’envie de produire mes propres musiques vient petit à petit. J’ai envie que ce soit une idée assez mûre dans ma tête pour proposer quelque chose dont je suis entièrement convaincue histoire de ne pas regretter 2 ans après.
Lors de la Techno Parade en Septembre dernier, le magazine de musique électronique Trax s’est associé à l’Institut du Monde Arabe pour constituer un char. Tu faisais partie des artistes présent.e.s. Pour la première fois dans la rue à Paris, des jeunes ont dansé sur de la musique traditionnelle Marocaine, chose qui a un peu fait le tour des médias et traversé les frontières.
Oui ! C’était même une demande de l’Institut du Monde Arabe. En effet c’était une grande première, dans la rue en tout cas. Le public de la Techno Parade est un public d’habitués.es. Tous.tes les artistes conviés.es ont joué le jeu de passer des morceaux qui pouvaient plaire aux festivaliers.ères mais aussi de faire pas mal de clins d’œil à nos cultures. J’ai passé un titre de Chaâbi traditionnel que jamais je ne pensais jouer un jour, ni en club et encore moins à la Techno Parade. C’est un titre un peu psychédélique qui dure 10 minutes, vraiment très particulier. Finalement la réception a été bonne, les gens ont dansé dessus, ils se sont imprégné de ces sons là et c’était assez drôle de voir que ça plaisait aux gens et de jouer ça dans Paris. C’était une grande première et ça a eu un écho assez impressionnant. Certains médias Marocains en ont parlé, ils étaient très étonnés. D’ailleurs pour la petite anecdote, quelques jours après, ma sœur qui était au travail entendait ses collègues qui étaient à Paris ce week-end là dire “On a écouté un titre de Chaâbi à Paris, je ne sais pas qui jouait ça, il y avait une espèce d’énorme parade…” c’est génial ! C’est même parvenu jusqu’au Maroc.
Est-ce que tu as le sentiment de représenter quelque chose? Te sens-tu activiste ?
Oui, je pense que plus le projet prend de l’ampleur plus on te rattache à cette culture. Alors, oui peut-être, mais pas tout-à-fait pour moi. Je n’aime pas du tout quand on dit par exemple que je représente la scène électronique Marocaine, parce que ce n’est pas le cas. J’habite en France, il y a des productrices et des producteurs qui existent au Maroc et qui sont beaucoup plus légitimes que moi pour représenter cette scène là. Ces personnes œuvrent toute l’année sur place, dans le territoire, pour faire bouger les choses, donc c’est pas pareil. Moi j’essaie de créer des ponts entre les deux, de promouvoir comme je peux des artistes locaux notamment à travers les soirées Fissa que j’organise où j’essaie de les mettre en avant mais je me sentirais pas du tout légitime de dire “je représente telle ou telle scène”. Pour moi ce n’est pas le cas et je pense qu’il y a d’autres personnes pour qui ce statut est bien plus justifié. J’ai la chance d’avoir pas mal d’opportunités pour jouer un peu partout, même s’il y a la problématique de la mobilité, étant Marocaine, je suis contrainte aux problèmes de Visa et compagnie mais il y a des artistes Marocains qui se produisent chez eux toute l’année et qui n’ont pas accès aux autres scènes ailleurs en Europe ou dans le monde. Ce serait un peu facile de m’auto-proclamer “représentante de”, j’ai énormément de facilités, c’est une grande chance et je m’en rends compte par rapport à d’autres collectifs et d’autres artistes qui résident au Maghreb.
En tant que femme DJ, as-tu été confrontée à certaines difficultés?
On rencontre de moins en moins de difficultés, je ne sais pas par quel miracle mais en tout cas au début tu sens que t’as besoin d’en faire plus pour être prise au sérieux. La problématique des femmes ce sont les techniciens dans les salles, c’est toujours un peu le moment sensible. Je me souviens une fois, avant un dj set, un technicien m’a demandé si je savais utiliser les platines ou s’il fallait qu’il me montre, chose qu’il n’aurait jamais demandé au DJ après moi. Étrangement, je n’ai jamais rencontré ça au Maroc. J’ai été assez touchée et c’est pour ça que j’en parle tout le temps mais ça s’est toujours fait dans le respect le plus total, que ce soit avec la technique, les promoteurs ou même le public. Je crois que la jeunesse Marocaine a envie de défendre ça et c’est chouette.
ڭليثرGlitter٥٥ à retrouver ce samedi 23 novembre à la Wet For Me – Exxxtase edition
à partir de 23h00