Mon sexe est discret, invisible : une fente, une « faille », un simple trait, lisse. Il ne se voit pas, il n’est pas distinct sous mon pantalon ou sous ma jupe. Personne ne voit mon sexe en érection quand il bande.
Le sexe des femmes est partout mais ne se montre jamais. Sur les couvertures des magazines érotiques, dans les vidéos pornographiques trônent toujours les mêmes sexes lisses et épilés. Aucun repli, aucune lèvre qui ne dépasse, aucun clitoris prépondérant. Pourtant, les petites lèvres dépassent les grandes chez 75% des femmes environ.
L’iconographie du corps de la femme, et plus particulièrement de son sexe, sont hautement révélatrices de la place qui lui est faite dans la société. Mais si aujourd’hui on voit la vulve en long, en large et en poster, ce ne fut pas toujours le cas.
L’histoire des arts nous apprend une chose : si l’art érotique est aussi vieux que le monde, c’est plus généralement le sexe des hommes que l’on sublime (d’ailleurs, en Grèce antique, le pénis idéal était petit). La vulve, quant à elle, est illustrée de manière abstraite, symbolisant le sexe féminin dans sa fonction procréatrice ou diabolique.
Sur de nombreuses peintures et dessins, la femme nue est représentée avec une « draperie mouillée », dissimulant son sexe avec sa main ou une feuille de vigne. Parfois, elle s’illustre dans des positions « obscènes » avec des animaux tels des crapauds ou des serpents pour souligner l’aspect zoophile, animal, bestial du sexe féminin. Pour signaler la monstruosité de la vulve. Son caractère sexuel (évidemment puisque c’est un sexe) est conçu comme un danger. On voit alors apparaître le mythe du vagin denté. La Méduse de Caravage dessine en réalité un sexe denté et béant, dont les cheveux figurent des poils pubiens aussi menaçants que des serpents.
Le sexe féminin est rarement montré tel qu’il est. Il demeure un symbole du péché, une personnification du diable, du mal. La vulve met en lumière les instincts les plus bas chez l’homme, l’instinct sexuel. Plus tard, sa représentation se fait de moins en moins symbolique en Occident. Il reste la métaphore de l’Origine du monde* mais son illustration n’est plus autant abstraite.
Il faut attendre les années 60 pour que des femmes artistes prennent possession du pouvoir politique et symbolique de leur sexe : Vallie Export, Louise Bourgeois, Virginia Woolf etc. La vulve est enfin montrée par les femmes elles-mêmes. Mais elle reste un symbole, celui de leur émancipation, de leur libération.
Ou en est-on aujourd’hui ? 2013 année du sexe de synthèse ? Il semblerait que nos sexes soient trop obscènes pour être montrés tels quels. Il y a deux ans, une journaliste britannique a réalisé un reportage sur la quête du vagin parfait : The Perfect Vagina.
Dans ce documentaire, on apprend que de plus en plus de femmes ont recourt à des opérations de chirurgie esthétique pour « corriger » leur sexe trop gros, leurs lèvres qui dépassent ou leur clito qu’elles croient ressembler à un micro pénis. A l’inverse, nous savons que les hommes quant à eux se font agrandir ou grossir le pénis.
On y apprend également que la censure oblige les magazines pornos à couper ce qui dépasse des sexes des femmes pour les photos de couverture. Les graphistes doivent gommer ce qui déborde de la fente. La vulve est cachée sous un trait noir. Et finalement, les vulves semblent toutes se ressembler.
Pourquoi ce désir de correction ? Le sexe féminin fait-il toujours peur ? Un clito trop gros met-il en danger la visibilité du sexe masculin ? La visibilité des hommes tout simplement? Si on voit un sexe de femme à travers son pantalon, cela remet-il en cause la virilité du sexe des hommes ?
Je n’ai en fait pas la réponse à toutes ces questions. Je ne comprends pas pourquoi le sexe féminin n’est pas représenté dans sa diversité. Le sexe féminin est passé de quelque chose d’abstrait à quelque chose d’absurde. La vulve « idéale » et « parfaite » n’existe pas puisque toutes les vulves sont différentes.
Je ne pense pas que le porno soit le seul à véhiculer cette image standard. L’inconscient collectif est fort et nous gardons en nous des siècles de censure et d’invisibilité du sexe féminin. Le porno n’est que le reflet d’une iconographie du passé. Et il est grand temps d’y remédier. Mais pour y remédier, n’attendons pas que les médias de masse montrent nos sexes dans leur diversité.
Il y a quelque mois, une jeune femme australienne Emma a décidé de lancer un blog pour montrer tous types de sexes féminins : The Large Labia Project. Depuis, ce sont des centaines de femmes qui, complexées ou pas par leurs parties génitales, envoient des photos de leur vulve.
*L’origine du monde de Gustave Courbet
Source : Cachez ce sexe que je ne saurais voir : Iconographies du sexe féminin, de Marie-Joseph Bertini, Chrystel Besse, Françoise Gaillard et Elvan Zabunyan aux édictions Dis Voir.
Sarah
Illustration de couv : Bethany makes poetry