Même si l’expression «couple libre » ne me satisfait pas totalement, elle me semble un parfait tremplin à ma réflexion sur le sujet de ce dimanche. Insatisfaction parce que les mots « couple » et « libre » ne vont pas forcément de paire dans l’inconscient collectif, ni même dans mon inconscient à moi.
Aujourd’hui, ce sont des couples non exclusifs dont je vais vous parler . Il y a autant de manière d’être en couple (exclusif, libre, poly) que de personnes en couple, chaque couple ayant sa propre dynamique et ses propres règles et je ne saurai ici étayer toutes les règles, toutes les pratiques. Cependant, je vais tacher, en m’appuyant sur vos témoignages, de dégager les motivations qui vous poussent à vous définir en tant que couple libre.
ROMEO + JULIETTE
Cela prend du temps parfois : plusieurs années de relations amoureuses pour se rendre compte que l’exclusivité ne vous comble pas. Si aimer est un sentiment qui va vers l’Autre, et que posséder consiste à ramener ce sentiment vers Soi, alors l’amour exclusif tourne en rond, non ?
Le sentiment amoureux est-il possessif par essence ? Ne serions-nous pas plutôt prisonniers de plusieurs siècles de culture du « toi-et-moi-pour-toujours» ayant érigé la notion de couple en condition sine qua non de notre épanouissement amoureux ?
Selon le chercheur Louis George Tin, le couple est depuis le 13e siècle* un binôme régit par des règles implicites et explicites de fidélité sexuelle et amoureuse. Le 13e siècle fait basculer nos sociétés de l’homosociabilité (s’appuyant sur le code de la chevalerie) à la culture de l’hétérosexualité amoureuse dont le couple homme-femme est le pilier et l’amour courtois le modèle.
Si cette culture de l’amour a débarqué en Occident il y a de ça huit siècles, il serait possible, non pas d’inverser la donne mais de déconstruire son schéma au-delà de notre pensée, nos émotions. Chose ardue, certes, mais concevable.
Je doute que tout le monde soit capable ou ait envie de foudre le bordel dans ses certitudes amoureuses. Pour autant, si de nombreuses personnes commencent à nouveau à remettre en cause cette idée d’exclusivité sexuelle, cela veut dire que nous serions, dans l’absolu, tous et toutes capables de le faire. Nina, 27 ans, a longtemps vécu des relations exclusives qui ne la comblaient pas :
« J’avais l’impression que chaque relation me coupait du monde et de ses possibles. C’était comme si je passais à côté d’une foule d’opportunités, de rencontres, de liens. Depuis j’explique toujours à mes nouvelles amoureuses que je suis partisane d’un modèle de couple « ouvert ». Je préfère dire « ouvert » que « libre ». Le tout c’est que la liberté ne doit pas entamer la confiance. Si je sens que je vrille, je m’arrête. »
LIBERTÉ CHÉRIE
Alors, en couple libre, comment est-ce que ça se passe ? Parmi les témoignages que j’ai pu acquérir, j’ai remarqué que les règles variaient d’un couple à l’autre. Quand certains couples se racontent leurs aventures sexuelles, d’autres y voient quelque chose de personnel, relatif à leur épanouissement propre et qui ne rentre pas dans le cadre du couple. A chaque personne et à chaque couple de gérer ces variables. Aussi, certains couples s’imposent de ne pas coucher avec la même personne plus d’une fois, alors que cela importe peu à d’autres.
La plupart des personnes qui m’ont répondu ont mis quelques années à mettre en pratique la non-exclusivité sexuelle. On ne choisit pas de qui on tombe amoureux, et il est parfois difficile au tout début de sa vie amoureuse d’imposer à l’Autre la liberté sexuelle hors du couple, sans le vexer ou le heurter.
Souvent, c’est après quelques années d’échec de nos relations exclusives que nous en venons à assumer enfin que cette « fidélité » sexuelle nous échappe totalement. Parce que rien n’existe par nature et encore moins le couple exclusif, l’idée de posseder le corps de l’autre est loin d’être un universel.
Pour certaines personnes, la vie sexuelle hors du couple est impensable, mais qu’en est-il des personnes qui pratiquent le couple libre ? Marine, 32 ans, la fidélité n’est pas synonyme de bonheur amoureux :
» Ma petite-amie ne m’appartient pas, je suis avec elle, elle n’est pas à moi. L’idée de possession qui découle de l’exclusivité amoureuse et de la fidélité m’oppresse. Je veux qu’elle puisse vivre des expériences en dehors de moi, qu’on ait chacune notre espace d’expérimentation en dehors du cocon que l’on s’est crée. «
LE COUPLE LIBRE SUR LA TOILE
De nombreux sites internet colportent les idées reçues les plus retrogrades sur les couples libres : sur le site Canalvie.com, les personnes qui ne souhaitent pas être exclusives sont décrites comme «d’ éternels adolescents qui ont envie de s’amuser », mieux encore, des personnes fragiles qui ont « souvent une crainte de l’engagement plein et entier ».
Aux raisons énumérées pour justifier ce choix difficile : la distance physique, la frustration sexuelle dans le couple ou encore un métier qui prend trop de place. Rien n’est dit sur la réflexion toute simple que le couple n’est pas forcement un lieu on l’on possède le corps de l’Autre. Rien n’est dit non plus sur l’épanouissement personnel de chaque partenaire en dehors du couple.
Dans nos sociétés, l’épanouissement sexuel se fait dans le cadre du couple. On peut partager nos passions intellectuelles avec d’autres, nos engaments politiques profonds et même de la tendresse, mais la sexualité est à part, et reste dans le cadre du couple. Aujourd’hui, et malgré cette révolution sexuelle qui s’est épanouie depuis en France, la sexualité est intime et ne se partage pas avec d’autres personnes que celle que l’on aime.
Moi, c’est de cette pensée là que je souhaitais parler. L’aberration, je la situe ici : l’appropriation du corps de l’autre, et de manière implicite et hors du cadre du jeu sexuel.
Je sais évidemment que nous sommes peu à penser cela, et je ne souhaite pas juger les personnes pour qui le couple libre est une extravagance. Mais le couple d’« Amour-avec-un-grand-A-pour-la-vie»est un concept récent, sujet aux transformations de la société. Il est en constante évolution, et il serait bien dommage de ne pas remettre en question de manière plus générale l’idée du couple exclusif tout court. Ne serait-ce que pour apaiser les tensions, amoureuses ou pas.
*L’invention de la culture hétérosexuelle de Louis-Georges Tin (ed. Autrement, 2008)
Sarah